Les énigmes sensibles des mobilités urbaines contemporaines

  • Interroger

    Interroger rend accessible les quatre questionnements à travers lesquels nous abordons les énigmes sensibles des mobilités urbaines contemporaines :
    - la pacification des espaces piétons
    - la mobilité éprouvée par la ville labile
    - les surveillances dans les gares internationales
    - les seuils et paradoxes d'ambiances aux abords des cimetières

  • Découvrir

    La recherche sur les énigmes sensibles des mobilités urbaines contemporaines s’appuie sur sept terrains d’études, situés dans cinq pays différents (Angleterre, Brésil, Espagne, France, Vénézuela). Nous vous invitons ici à découvrir ces lieux à travers un ensemble de documents que nous avons réalisés à partir de nos visites sur les terrains d'étude.

  • Enquêter in situ

    Pour appréhender les mobilités du point de vue de l'expérience sensible, les méthodes d'enquête utilisées reposent sur l'immersion in-situ et le principe du parcours ; inspirées de l'ethnographie (observation, récit…), elles font appel aux techniques d'enregistrement (sonore, vidéo) et se modulent en fonction des particularités de chaque terrain.

  • Débattre, Partager, Critiquer

    Les résultats de la recherche mis au débat contribuent à une critique de la ville contemporaine à travers des outils et notions pour en penser le devenir. Vigilance, labilité, mouvement(s), cohabitation, seuils, détournements, synthétisent quelques énigmes sensibles des mobilités urbaines au regard du partage urbain en marche et des dispositifs construits.

  • Expérimenter

    Afin de mettre à l'épreuve du public les analyses de la recherche et d'esquisser collectivement une critique sensible de l'urbain, quatre expérimentations sont proposées au printemps 2014 sur les différents terrains d'étude :
    - Paris La Défense (10 Avril),
    - Salvador da Bahia (14-16 avril),
    - Caracas (28-29 avril),
    - Paris Gare du Nord (30 avril).

Qui sommes-nous ?

Nous sommes un groupe de chercheurs et de doctorants réunis sous la direction de Rachel Thomas (Chargée de recherche CNRS, Directrice du Cresson) pour construire une réflexion sur « les énigmes sensibles des mobilités urbaines contemporaines ».
Ce projet MUSE a été financé dans le cadre du programme « Espace et Territoire » de l'Agence Nationale de la Recherche (décision ANR_10_ESVS_013_01).

L'enjeu de ce site internet est d'essayer de traduire ce qui fait la matière de la recherche ANR MUSE. Il expose les différents temps du processus de recherche et donne à partager, par le biais de nombreux médiums (textes, photographies, bandes sonores, vidéos) notre expérience des divers terrains d'étude explorés à Paris, Londres, Barcelone, Salvador da Bahia et Caracas. Si certains résultats de la recherche sont ici exposés, ce site n'en constitue pas le rapport, au sens universitaire du terme, téléchargeable ici.

Ont activement participé à la constitution de ce site internet

  • Adey Peter
  • Balez Suzel
  • Bérubé Gabriel
  • Bonnet Aurore
  • Brayer Laure
  • Chelkoff Grégoire
  • Costa Menezes da Rocha, Maria Isabel
  • Fiori Sandra
  • Germon Olivia
  • Masson Damien
  • Murphy Patrick
  • Simpson Paul
  • Thiollière Pascaline
  • Thomas Rachel
  • Tixier Nicolas
  • Wan-Dall Junior Osnildo Adão

Institutions partenaires

UMR 1563 - Ambiances Architecturales et urbaines - Cresson CNRS MCC ECN Agence nationale de la recherche Centre National de la Recherche Scientifique Ecole Nationale Supérieure d'Architecture de Grenoble

Programa de Pos-Graduaçao em Arquitectura e Urbanismo - Faculdade de Arquiterctura da UFBA Universidad Simon Bolivar Geography With Plymouth University Goldsmiths University of London Royal Hollooway University of London Universitat de Barcelona Grup de Recerca sobre Exclusió i Control Socials


Conception du site : Go On Web

Interroger // Pacification des espaces publics

Pacification des espaces publics urbains

Echos locaux sur le réaménagement urbain
du quartier de Barra à Salvador da Bahia

Pacification des espaces publics urbains

Le soutien apporté aujourd'hui à des formes de lenteur en ville s'inscrit dans l'espace, bouleverse les pratiques urbaines et transforme l'ordre moral et social. Parce qu'il s'accompagne de dispositifs de contrôle, de séparation des flux et de neutralisation (Sennett, 1994 ; Bégout, 2003) – dispositifs dont on peut se demander s'ils ne témoignent pas d'un hygiénisme contemporain (Rivière d'Arc, 2010 ; Thomas et alii, 2010) – un tel soutien bouleverse les formes et les modalités du « se-mouvoir » et du vivre ensemble la ville.
Prenons deux exemples qui mettent en exergue cet entremêlement d'enjeux, dans des zones géographiques et culturelles différentes.

Des espaces publics apaisés, aseptisés, pacifiés

En Europe, le modèle de la ville apaisée (Dumont, 2006) prend forme à partir de projets de déploiement de la vie publique et d'aménités propices à un « mieux vivre-ensemble ». Il s'agit concrètement de redistribuer l'espace public en défaveur de l'automobile (séparation des circulations ou hiérarchisation de la voirie en faveur des modes doux et des transports publics) et de valoriser la pratique de la marche par divers aménagements (lissage systématique des sols, esthétisation de l'éclairage public, amélioration de la propreté des sites, recours à la « végétalisation » avec des visées environnementales...). Ralentie, végétalisée, débarrassée des conflits, la ville apaisée garantirait ainsi la convivialité et participerait d'une cohésion de la communauté urbaine. Embellie, désencombrée, écologique, cette ville apaisée – parfois aseptisée (Thomas et alii, 2010) – enchanterait le quotidien du piéton (Winkin, 2006) en évacuant les tensions de la vie urbaine et en offrant des temps d'évasion en ville.

Dans les pays émergents, et au Brésil particulièrement, cette volonté d'apaisement des mobilités urbaines prend une dimension plus sociopolitique (Ziliani-Vallet, 2008). A l'aune de grands évènements sportifs mondiaux (Coupe du monde de football en juin 2014 et Jeux Olympiques à l'été 2016), les politiques de pacification - établies dès 2009 pour lutter contre l'emprise des bandes de narcotrafiquants sur les habitants, améliorer la salubrité et développer les services publics au sein des favelas – s'étendent aux espaces publics urbains. Outre la présence visible dans les rues d'une police militaire lourdement armée, cette politique s'appuie sur des projets de revitalisation des quartiers (remplacement du traditionnel pavé portugais par des matériaux contemporains, recours au façadisme, désencombrement de la rue par l'institutionnalisation du commerce ambulant...) et sur l'expulsion vers la périphérie des populations les plus démunies. Mise en ordre, surveillée, sécurisée, la ville pacifiée assurerait ainsi la tranquillité des citadins et la protection du bien commun.

Partage et devenir sensible de l'urbain

Or, si la mise en signe de la ville apaisée, aseptisée, pacifiée relève de dispositifs différents au Nord et au Sud, elle questionne à chaque fois la nature de l'espace public comme lieu du partage et du côtoiement de l'Autre. Notre travail, dans cet axe, consiste précisément à interroger la façon dont ces différents processus s'incarnent dans le quotidien du piéton, au point de transformer radicalement l'expérience sensible des espaces publics urbains et les modes de partage. En nous focalisant sur l'exemple brésilien, nous nous demandons ainsi comment ces processus et les aménagements mis en œuvre se prêtent au déploiement de formes d'expériences piétonnes plus ou moins communes. Dit autrement, qu'est-ce que ces évolutions permettent de faire, d'être et de partager dans l'espace public urbain contemporain ? en quoi les processus d'apaisement et de pacification reconfigurent les manières d'être et de vivre-ensemble en public ?

© Collectif « Pacification des espaces publics »

Une telle perspective de travail appréhende les phénomènes à l'échelle des corps en mouvement. De notre point de vue, marcher ne se réduit ni à la mobilisation de « techniques du corps » (Mauss, 1950), ni à celle des rituels de gestion de l'interaction sociale (Goffman, 1974). Cette activité engage aussi les sens et les sensations, mettant en jeu ce que nous appelons – en référence aux travaux en danse de Guisgand - les états de corps du piéton.
Or, la mise à jour d'une typologie des états de corps du piéton constitue, pour nous, un moyen d'accéder à l'urbanité contemporaine, entendu comme un savoir-faire du vivre-ensemble. Plus qu'une critique incantatoire de ces processus d'apaisement, d'aseptisation, de pacification, elle constitue également une manière de réfléchir et de mettre en débat le devenir sensible de l'urbain.


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Présentation du collectif « Pacification des espaces publics »

Axe 1 : L'apaisement des mobilités urbaines au XXIe siècle

Responsable de l'axe : Rachel Thomas, chargée de recherche CNRS au Cresson (UMR CNRS 1563 « Ambiances Architecturales et Urbaines »)

Equipe Cresson :

Membres :

  • Suzel Balez, architecte
  • Gabriel Bérubé, architecte - paysagiste
  • Aurore Bonnet, architecte

Équipe partenaire : Laboratorio urbano, Faculdade de Arquitetura , Universidade Federale da Bahia

Membres :

  • Paola Berenstein - Jacques, architecte
  • Fabiana Dultra Britto, chorégraphe
  • Xico Costa, architecte
  • Maria Isabel Menezes da Rocha, architecte

Interroger // Mobilité éprouvantes

La mobilité labile à Caracas : expériences, situations, contextes

Le métro de Caracas à l'épreuve

Au risque du bus

Au risque du bus

Cette sélection de coupures de presse extraites de quotidiens vénézuéliens donne un aperçu des problèmes que représente le réseau artisanal de bus et minibus de la capitale pour les différents acteurs (usagers, institutions publiques, chauffeurs, transporteurs) : offre de service insuffisante, encombrement viaire, manque de rentabilité, de coordination et de planification.

Vols, attaques, meurtres... la presse se fait largement l'écho des différentes formes d'insécurité dont font quotidiennement l'objet usagers et employés des bus.

Une insécurité devenue problème public dont témoignent les revendications régulières des acteurs du secteur (chauffeurs, syndicats de transporteurs) et les conflits que ces revendications génèrent avec les autorités gouvernementales.

Plusieurs articles en ligne

Tragédie dans le train
"Tragedia en tren" : Daniel Palacios Ybarra, TalCual Digital, 24.11.2011
http://www.talcualdigital.com/nota/visor.aspx?id=62272

41 km de violence pour rejoindre El Tuy
"41 kilómetros de violencia para llegar al Tuy", Julio Materano, El National, 11.10.2013
http://www.el-nacional.com/caracas/Ferrocarril-Valles_del_Tuy_0_279572295.html

Panique et désespoir pour les passagers des trains du Tuy
"Pánico y desesperación vivieron pasajeros en trenes del Tuy", Javier Ignacio Mayorca , El National, 30.09.2011.
http://www.reportero24.com/2011/09/siniestro-panico-y-desesperacion-vivieron-pasajeros-en-trenes-del-tuy/

Le Train de l’humiliation

Le train géré par I’Institut des Voies Ferrées (IFE) qui relie la ville de Caracas aux villes « dortoir » de la Vallée du Tuy est l’un des exemples emblématiques de la négligence de ce gouvernement. En raison des épreuves physiques, psychologiques et morales auxquelles sont soumis ses milliers d’usagers, cet important transport en commun (le seul chemin de fer existant reliant la banlieue) peut être qualifié, sans hésiter, comme « Le train de l’humiliation ».

Si les trois premières années, ce train offrait un service correct, il fonctionne aujourd’hui avec le minimum d’unités envisageables. Du train inauguré en 2006 ayant été conçu pour travailler avec 24 wagons, 8 ont été achetés et, après l’accident de 2011, seulement 6 restent en fonctionnement. L’aborder dans les heures de pointe (le matin à partir de 4h40 et les après-midi à partir de 16h) est un supplice. Les queues sont interminables et il n’y a aucun suivi pour que les passagers puissent aborder les wagons en bonne et due forme. En se disputant une place, les passagers deviennent facilement violents. Bousculades, coups et blessés sont à l’ordre du jour. Cela fait déjà longtemps que ce train ne dispose plus d’une capacité et d’un accueil acceptables. Comme des sardines en boite voyagent ceux qui prennent le risque de partir debout. Les rames n’arrivent presque jamais aux terminus en temps et en heure et dans des longues files d’attente éprouvées par des nombreux resquilleurs, l’attente peut se prolonger pendant plus d’une heure.

Peut-être le pire arrive dans la rame spéciale consacrée aux passagers handicapés, aux personnes âgées et aux femmes enceintes. Dans cette rame, qui est aussi la seule où les surveillants se rendent présents pour contrôler, les petits vieux, les femmes et les enfants sont malmenés quotidiennement par des personnes, par des jeunes et des pas si jeunes qui, parfois avec des cannes à la main, simulent être handicapés et occupent la place avec violence, devant le regard de marbre des surveillants qui n’exercent non plus aucune autorité.

Traduction d'un éditorial paru dans le quotidien Tal Cual en octobre 2012.

Plusieurs articles en ligne sur le site www.reportero24.com

Caracas : le métro a cessé d'être la fierté des Vénézuéliens
"Caracas: El metro dejó de ser el orgullo de los Venezolanos", 09.08.2011.
http://www.reportero24.com/2011/08/caracas-el-metro-dejo-de-ser-el-orgullo-de-los-venezolanos/

Histoires du métro
"Historias del metro", Gómez Jiménez Jorge, 01.08.2011.
http://www.reportero24.com/2011/08/jorge-gomez-jimenez-historias-del-metro/

Planification : le métro de Caracas a perdu le Nord
"Planificacion : El Metro de Caracas perdió su norte", Gonzàlez Simon (El Nacional), 28.11.2010.
http://www.reportero24.com/2010/11/planificacion-el-metro-de-caracas-perdio-su-norte/

Présentation du collectif « Mobilités éprouvantes »

Axe 2 : Les espaces-temps de la mobilité labile

Co-responsables de l’axe :

  • Sandra Fiori, Urbaniste, Maître assistante ENSA Lyon, Chercheur
  • Pedro Garcia Sanchez, Sociologue, Maître de Conférence Université Paris Ouest Nanterre

Equipe Cresson :

  • Julien Delas, Sociologue

Équipe partenaire :

  • Silverio Gonzalez Tellez, sociologue (Instituto de Estudios Regionales y Urbanos, Universidad Simon Bolivar de Caracas)

Interroger // Surveillance(s) en public

Une phénoménologie des ambiances des espaces sous surveillance

CCTV operates in this area

Paris sous surveillance

Une phénoménologie des ambiances des espaces sous surveillance

L'un des postulats de travail fondamental pour l'axe 3 concerne les espaces de mobilité et le fait qu'ils soient nécessairement l'objet, comme le lieu, de logiques de surveillance.

La mobilité génère des mouvements (d'objets, de personnes, de capitaux, d'idées etc.) et des interactions. Aussi, la traduction physique de ces mouvements engendre un ensemble de conséquences matérielles sur le Monde : il faut les rendre possible, ce qui signifie qu'il faut concevoir, aménager puis gérer des infrastructures leur servant de support, mais il faut également les organiser, ce qui implique de codifier, de normaliser et de sécuriser la réalisation des interactions mobiles. Et la nécessité de ce double impératif infrastructurel et organisationnel croît de manière connaturelle avec la densité des individus, des formes construites et enfin des flux. Autrement dit, pour assurer la meilleure réalisation possible de l'impératif de mobilité, il faut le sécuriser, c'est-à-dire, le rendre plus sûr, plus stable, mais aussi créer une impression de confiance, susceptible de rassurer celle ou celui qui l'effectue. Cette sécurisation du mouvement procède de diverses formes instrumentales, et s'applique également aux dimensions infrastructurelles et organisationnelles des logiques de flux. En effet, il s'agit tout autant de veiller au bon état des infrastructures de mouvement, qu'à la bonne réalisation des pérégrinations. Parmi ces logiques sécuritaires, se trouvent par conséquent celles liées à la surveillance de l'espace et de ses acteurs. La figure contemporaine du pôle d'échange, uni ou multimodal, selon les connections qu'il permet de réaliser, cristallise et concrétise le double impératif de support et d'organisation des flux résultants de ce que Simmel nomme « le besoin humain de connections » (in Urry 2007). Dans la mesure où le pôle d'échange est un concentrateur, voire un « précipitateur » de mobilité, il rend nécessaire des logiques de sécurité et de surveillance, mettant en œuvre deux « traductions » opératoires :

  • matérielle : la matérialité des lieux doit assurer un efficace sécuritaire (Landauer, 2009),
  • humaine : les personnes mobiles sont surveillées et « sécurisées » par d'autres personnes, présentes (par exemple, officier de police ou agent de sécurité sur site) ou absentes (par exemple, agent situé derrière un écran de contrôle).

Surveillance humaine à St Pancras International
© Collectif « Surveillance(s) en public »

Dès le départ du travail au sein de l'axe 3, l'hypothèse est faite qu'à ces deux traductions opératoires de la sécurité une troisième vient s'ajouter, qui concerne la question sensible, cette troisième traduction étant « ambiantale ». De la même manière que la notion de sécurisation engage des effets pratiques (rendre plus sûr quelque chose) et psychologiques (rassurer), celle d'ambiance procède également d'une double composante, dans la mesure où elle désigne, selon le sens courant, « l'atmosphère matérielle et morale qui environne une personne ». Dans les deux, est désignée la covariation du matériel et du sensible, du construit et du perçu, du tangible et de l'émotionnel. En ajoutant, donc, la traduction « ambiantale » aux traductions matérielles et humaines des logiques de sécurité et de surveillance des espaces de mobilité, et particulièrement des pôles d'échanges, nous formulons le postulat que les ambiances de ces lieux ne sont pas indifférentes aux logiques de surveillance qui les animent.

Ces questions et hypothèses ont été mises à l'épreuve de deux terrains, des gares ferroviaires internationales, l'une française Paris Gare du Nord, l'autre britannique Londres Saint-Pancras. En ces lieux, nous avons réalisé des observations, des captations (sonores, photographiques, vidéographiques), des ethnographies sensibles, des entretiens et des expérimentations.


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Présentation du collectif « Surveillance(s) en public »

Axe 3 : Surveillance(s) en public

Responsable de l'axe : Damien Masson, maître de conférence à l'Université de Cergy Pontoise, chercheur associé au Cresson

Equipe Cresson :

Membres :

  • Laure Brayer, architecte
  • Damien Masson, urbaniste
  • Nicolas Tixier, architecte

Équipe partenaire :

Membres :

  • Peter Adey, géographe (Royal Holloway, University of London)
  • Patrick Murphy, géographe (Goldsmiths, University of London)
  • Paul Simpson, géographe (Plymouth University)

Interroger // Paradoxes d'ambiances

Coupe sur le cimetière Poblenou

Coupe sur le cimetière La Défense

Tranquilité

Les paradoxes de l'ambiance à l'usage des lieux

La notion de paradoxe renvoie à la fragilisation d'une croyance établie, elle concerne les renversements de ces croyances en déjouant l'opinion commune et en faisant interagir contradictions et contraires. Elle joue donc un rôle décisif concernant les représentations, l'imaginaire et la cognition des espaces et des milieux perçus, mais souligne aussi le rôle du sentir dans l'installation ou la déstabilisation de ces croyances sur les lieux. Or, « le sentir n'est pas affaire d'espace - au sens de la perception comme au sens de la représentation - mais bien de lieu. Lieu paradoxal : lieu pour éprouver en même temps le contact et la distance » (G. Didi-Huberman, Génie du non lieu, Minuit, 2001, p. 146). Et ainsi « l'expression habitante s'incorpore dans la tension entre le proche et lointain, entre mouvement et pause, entre absence et présence » (J.-F. Augoyard, Pas à pas, A la croisée, 2010, p.).

L'exploration des vécus sensibles urbains, des pratiques et des morphologies construites surprend l'observateur en déjouant parfois représentations et stéréotypes. Ainsi, la critique des aménagements contemporains, en même temps que leur conception, devraient être attentives aux aspects paradoxaux qui peuvent émailler l'expérience. Trop souvent, la vision du monde urbain et la pensée urbanistique sont basées sur des valeurs ayant un caractère absolu alors que le sentir naît de ces tensions paradoxales. Elles peuvent devenir des foyers « poétiques » en interrogeant l'imagination, la perception et l'action tout aussi bien qu'elles peuvent être sources de conflits ou de contradictions. L'intérêt de cette approche est alors précisément d'ouvrir l'attention à l'émergence, à la richesse et au rôle de ces paradoxes dans l'appréhension de la ville en mouvement.

Les sites d'observation de La Défense et Poblenou ont été retenus car ils associent des fonctions urbaines contrastées, générant des « chocs d'ambiances » (G . Chelkoff, « The sound heritage of a new town : ambiance shocks in contemporary urbanism », Actes du colloque ICSV, Cracovie, juillet 2009). Ces formes d'urbanité contemporaines associées à la « grande ville », métropolitaine voire cosmopolite, attisent des paradoxes sensibles qui caractérisent les dispositions et mobilisent les perceptions et l'expérience des lieux en mouvement ou au repos, en interrogeant la ville de la vie et la mort, à travers les cimetières et leur entourage immédiat ou plus lointain dans ces deux sites. Le lieu de sépulture et ses abords ne sont pas seulement cet espace immobile, il est habité, parcouru, entouré, sensible et imaginé, le mouvement des vivants s'y enlace, les sols, les murs, les espaces se rencontrent. La vie alentour se poursuit, prend place, cohabite. C'est ce grand paradoxe que nous interrogeons : la ville en mouvement au seuil des lieux qui abritent un repos éternel.

Trois niveaux de paradoxes apparaissent à travers l'approche empirique des espaces urbains, et nous intéressent particulièrement au regard de la dynamique des milieux abordés.

Le mobile et l'immobile

Partant que l'homme n'habite pas des flux mais des lieux (O. Mongin, La condition urbaine. La ville à l'heure de la mondialisation, Le Seuil, 2005), il paraît important de considérer les relations entre mouvement et repos, mobile et immobile, dans le cadre d'une investigation des espaces et des milieux contemporains. L'aménagement, la recherche de fluidité de la mobilité, la multiplication des accessoires de connexions, peuvent-ils être pensés, conçus dans la perspective de ces contradictions et paradoxes ? Telles sont les questions que nous posons et dont nous n'avons pas établi toutes les réponses, mais dont nous effleurons quelques facettes en faisant du « seuil » un des dispositifs intéressant ces positions intermédiaires et paradoxales dans l'expérience de la ville. Comment, dans ces entrelacs mobiles complexes, trouver sa place, son espace de distance et de contact, de pause, de retrait, de concentration, mais aussi son espace d'exploration, dynamique, mobile, utopique ? Comment des compatibilités se construisent-elles, parfois inattendues, qui ne sont pas seulement des énigmes cognitives mais des rencontres socio-poétiques ?

Paradoxes d'usage

Un autre niveau de paradoxe peut être distingué, qui relève des modalités d'usage et d'inscription dans la ville. C'est le degré d'adéquation avec l'ambiance qui est ici mis en tension. En explorant ces lieux entre La Défense (cimetière de Neuilly) et Barcelone (cimetière de Poblenou), qui s'inscrivent, l'un dans le quartier des affaires et des affairés pressés, et l'autre, entre un renouveau littoral touristico-balnéaire et un ancien quartier artisanal, on se demande comment se rencontrent, se frottent, se côtoient les différents régimes d'usage. Des histoires variées – et non pas un mouvement linéaire et unique indiquant une seule fiction – sont en train de se jouer, hors d'un fonctionnalisme séparateur. Cela met en exergue les capacités d'adaptation voire d'invention du quotidien et peut ouvrir des horizons à l'imaginaire concepteur. Les paradoxes comportent alors une dimension d'inattendu et de surprise propres à faire de l'ambiance non pas un objet de maîtrise absolue et réglée mais précisément un mouvement continu de transformation et de tension.

Paradoxes sensibles

Du point de vue du vécu phénoménal des ambiances, l'articulation des différentes sensibilités (vue, ouïe, tactile et kinésique) dans l'expérience réelle fait vaciller les définitions spatio-visuelles. Reposant de manière trop exclusive sur le primat optique, ces représentations du milieu urbain font l'impasse sur d'autres données, qui pourtant structurent aussi la mémoire et l'expérience du citadin et parfois, entrent en collision avec ces représentations ou les colorent. Ainsi, l'intérêt de mettre à jour les paradoxes sensibles, tels qu'ils émergent dans l'expérience, est à la fois d'offrir un vecteur aux lectures parfois trop strictement mono-sensorielles et trop strictement descriptives, et d'autre part, d'interroger certaines valeurs basées sur les représentations spatiales à partir de l'expérience et des pratiques d'ambiance.

Les éléments vidéos et sonores proposés dans les documents joints à ce thème illustrent certains de ces paradoxes animateurs de l'expérience urbaine en les mêlant.


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Présentation du collectif « Paradoxes d'ambiance »

Axe 4 : Seuils et paradoxes d'ambiances aux abords des cimetières

Responsable de l'axe : Grégoire Chelkoff, Professeur à l'ENSA de Grenoble, chercheur au Cresson

Equipe Cresson :

Membres :

  • Grégoire Chelkoff, architecte
  • Olivia Germon, architecte
  • Pascaline Thiollière, architecte

Équipe partenaire :

Membres :

  • Manuel Delgado Ruiz, anthropologue (Facultat de geografia i historia, Universitat de Barcelona), chercheur au GRECS/Grup de Recerca sobre Control i Exclusió Socials
  • José Sánchez García, anthropologue, chercheur au GRECS/Grup de Recerca sobre Control i Exclusió Socials

Découvrir // Praça da Piedade (BR)

Diaporama Praça da Piedade

Une place carrée au cœur d'activités commerciales

La place Piedade est de forme carrée (70 x 70m environ). Elle est desservie par l'avenue Sete de Setembro au nord et par l'avenue Joana Angélica au sud. C'est l'une des places les plus anciennes et les plus fréquentées de Salvador. Elle est située dans le centre historique, dans un quartier populaire et commercial qui porte le nom de la place : Quartier Piedade. Piedade, qui signifie « pitié » en portugais vient du nom de la cathédrale qui la borde au sud : Notre Dame de la Pitié (Nossa Senhora da Piedade – 1809-). Un autre bâtiment religieux la borde à l'ouest, l'église São Pedro (1917), ainsi qu'un institut culturel, à l'est, le « Gabinete Português de Leitura », bâti en 1863.

Dans l'angle nord-ouest de la place se trouve également un centre commercial éponyme (Shopping Piedade), il participe de l'activité commerciale intense de ce quartier. Le Shopping Piedade jouxte une gare routière importante (Lapa) où se retrouvent une soixantaine de lignes de bus. La place Piedade fait donc partie d'un pôle d'échanges important, à la fois en terme de mobilité et en terme de commerce. En effet, l'avenue Sete de Setembro, comme le dédalle des rues alentour sont, de jour, riche d'activités commerciales variées, avec une connotation plutôt populaire (alors que les principales boutiques de luxe étaient présentes à cet endroit dans les années 50-60, ce n'est plus le cas aujourd'hui). La place constitue également une respiration spatiale sur l'avenue Sete de Setembro car à cet endroit le trottoir s'élargit, la hauteur des immeubles diminue sensiblement et la nature du sol change (le pavé portugais très accidenté est ici remplacé par un granit très lisse).

Lors d'un aménagement récent (une dizaine d'années), la configuration précédente de la place, très symétrique autour d'une fontaine centrale semble avoir été respectée et modernisée par des sols très lisses, des bancs de granit gris, une grille contemporaine en acier... Cet aménagement central constitue un plateau positionné « haut » par rapport à la chaussée : 26 cm du côté de l'avenue Sete de Setembro. La place est également en pente descendante, à peine perceptible, de l'avenue Joana Angélica au sud à l'avenue Sete de Setembro au nord.

La grande symétrie des éléments minéraux et de la configuration de l'espace est cependant contrariée par le bâti, assez hétérogène dans son aspect, et surtout par le végétal. La présence des arbres, et donc de leur ombre, cruciale sous ce climat, est inégale. Beaucoup plus importante côtés nord et est (avenue Sete de Setembro et le long du Gabinete Português de Leitura), l'ombre des arbres partage l'espace. Aux angles nord et sud le mobilier urbain et le vide dominent (toilette, téléphone, poubelle au sud; téléphone et poubelle au nord) ; à l'est et à l'ouest la présence des marchands ambulants crée des attroupements, ralenti le flux piéton malgré la largeur des trottoirs plus importante qu'ailleurs dans le quartier.

La nuit, l'éclairage de la place est assuré par des consoles sur les façades du pourtour et par quatre grands mats positionnés symétriquement autour de la fontaine centrale. Conséquence de la hauteur de ces mats, l'ombre des arbres est cruciale dans l'ambiance nocturne de la place. Comme de jour, l'espace alors est partagé par la lumière et l'ombre. Cette fois l'ombre n'est plus protectrice mais angoissante, tandis que la lumière artificielle rassure.

La place aux personnes âgées (de jour), aux habitants des rues (de nuit)

La plaça de Piedade est un lieu très populaire et très fréquenté, dans un mélange d'âges, de statuts, d'usages. On y trouve des marchands ambulants et leurs chalands, des « habitants de la rue », la police militaire... Le long de l'avenue Sete de Setembro la densité humaine et des objets est particulièrement importante, tandis qu'en face, sur l'avenue Joana Angélica, seuls sont présents les passants en mouvement (vers ou à partir du shopping Piedade, des rues marchandes alentours et de la gare routière proche) et les usagers des bus en attente.

La fréquentation semble partagée entre les différentes classes sociales, mais chacun s'ignore dans l'usage : traversée et utilisation de modes de transport différenciés pour les plus aisés, unique marche à pied et séjour pour les autres.

La présence des personnes âgées est ici remarquable. Qu'elles vivent là (habitants des rues) où qu'elles viennent assister au spectacle de la place, leur présence semble plus forte qu'ailleurs à Salvador. Tous les autres usagers s'agitent notablement. Dès le matin les marchands ambulants s'installent sur tous les trottoirs à l'ombre, de jeunes hommes passent, portant, tirant ou poussant des charges volumineuse et/ou lourdes et les divers uniformes témoignent des multiples activités du quartier (étudiants, religieux, employés des services publics...)

Dans ces mondes juxtaposés, chacun est concentré sur sa tâche : attendre le bus, faire une course, vendre, haranguer, surveiller, interpeller, dormir (uniquement les habitants de la rue)...

En plus d'être un lieu de chalandise lié au passage (cafés, boissons diverses, journaux...) la place est aussi un lieu d'expression populaire à travers des manifestations culturelles, politiques, religieuses ou encore des harangues publicitaires.

Jours et nuits, semaines et dimanches, la place aux multiples figures

La journée à Piedade semble constituée de gradients d'activités et de densité humaine qui s'enchaînent dans un flux continu du matin au soir. Le matin, avant que les marchands ambulants ne s'installent, la place est encore aux habitants de la rue. Nombreux sont ceux qui ont dormi là, des gestes intimes sont alors exposés dans l'espace public : se réveiller, faire sa toilette, se raser, laver son linge... Vers 8h30, les marchands ambulants s'installent pour la journée. Leur présence, même si elle constitue un obstacle dans le cheminement des piétons, ne semble pas être une entrave aux déplacements car par rapport au reste de l'avenue Sete de Setembro, à cet endroit le trottoir s'élargi. La densité humaine est cependant inégale sur les quatre côtés de la place : le côté ouest, sans arbre donc brûlant, est relativement vide (seuls deux enfants de la rue animent cette portion de trottoir). Le côté sud, malgré l'absence d'ombre, est occupé par les usagers des bus en attente sous des abris Decaux. Le côté est, très ombragé 1 et un peu moins circulé apparaît comme plus calme que l'avenue Sete de Setembro, côté nord avec la circulation et l'occupation la plus intense.

Á partir du moment où les marchands sont installés la place appartient à tous et l'affairement est intense. Les attitudes corporelles sont typiquement urbaines : les tenues de ville sont plus nombreuses (moins de peaux nues, moins de tong qu'à Barra), la marche est plus rapide, les bras balancent le long du corps, les enjambées sont plutôt grandes et les trajectoires sont rectilignes. Les manières de poser le pied sont aussi plus urbaines : au lieu de traîner, les talons se posent en premier puis le corps est propulsé par la plante du pied. Le rythme des marches ralenti progressivement après-midi. Sous ce climat, quand le soleil est au zénith, le début de l'après-midi s'accompagne d'un écrasement des corps, comme figés par la chaleur intense.

Un changement important d'ambiance se produit vers 17h30 : alors que l'affairement reprend pour les retours chez soi, la nuit tombe brutalement et signe aussi le retour de la visibilité des habitants de la rue qui monopolisent peu à peu l'ombre et donc la place. Comme de jour, mais alors générée par l'éclairage artificiel, l'ombre des arbres est en effet cruciale : elle n'est plus protectrice mais angoissante, car ce qui s'y cache échappe à la vue. Tant que les marchands ambulants sont présents, la place est encore à tous, les passants traversent encore le carré central. Le départ des marchands ambulants marque un processus de transition et de mutation. Assoupis le jour, les habitants de la rue deviennent visibles et actifs : ils se regroupent et occupent l'espace, au point d'en changer la configuration. Totalement ouverte sur ses quatre côtés de jour, la place symboliquement se ferme en effet sur le côté de l'avenue Sete de Setembro lorsque les habitants de la rue s'y regroupent.

De la même façon, le dimanche, alors que toutes les boutiques et centres commerciaux du quartier sont clos et que la gare routière fonctionne au ralenti, la place appartient aux habitants des rues. Comme nous en avons fait la rude expérience, les rares passants qui s'y aventurent le font à leurs risques et périls. Á ce moment-là, comme de nuit, la place n'est pas partagée par tous mais possédée par ceux qui n'ont rien.


1 Au moment de nos premières observation (en 2012, l'abattage d'un arbre a changé la physionomie de la place de ce côté).


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Découvrir // Porto da Barra (BR)

Diaporama Porto da Barra

Porto da Barra

Un quartier central, tiraillé entre passé colonial et présent commercial

Le quartier de Barra est situé au sud-ouest de la ville de Salvador da Bahia. Ouvert à l'ouest sur la Baie de Tous les Saints et au sud sur l'Océan Atlantique, il constitue le point géographiquement le plus avancé de la ville sur la mer. Il est aussi un des plus anciens quartiers de Salvador. Sur le front de mer, quelques monuments retracent ces diverses époques : le phare et le fort de Santo Antonio ; le fort de Santa Maria ; le monument à la mémoire de Tomé de Souza (fondateur de la ville en 1549) qui rappelle la conquête portugaise et les débuts de la traite des esclaves africains.

Face à la mer, d'anciennes petites maisons d'architecture coloniale, aux façades colorées, s'alignent le long de Avenida Sete de Setembro. Elles abritent des logements, des commerces (bars, restaurants, boutiques de prêt-à-porter et de souvenirs, droguerie...) ou des pousadas (sorte de pensions). De l'autre côté de la rue, en contrebas s'étend une plage urbaine. Séparée de la rue par une balustrade blanche, elle constitue un lieu d'affluence en fin de semaine, durant les périodes de vacances scolaires et les jours fériés. Dans le discours des habitants, Barra tient sa qualité de « centre de la vie urbaine » de la présence de cette plage urbaine, de la diversité de loisirs qu'elle offre et de sa dimension touristique (Löw, 2012).

À proximité de cette aire naturelle, de grands immeubles de béton, emblèmes de l'essor démographique et économique de la ville, affichent leur standing par la plus ou moins grande sophistication de leur système de protection (hauteur des murs et des grilles, sas d'entrée, nombre de vigies en uniforme, digicode). Fleuron de l'architecture moderne, l'Edificio Océania, construit en 1942, est le plus ancien d'entre eux. A l'intérieur du quartier, non loin de Avenida Princesa Isabel, Barra offre à une clientèle de classe moyenne et aisée un point d'attraction majeur : le Shopping Barra, troisième plus grand centre commercial de la ville.
Enfin, au cœur de ces espaces résidentiels et commerçants de Barra existent des parcelles de terre vacantes où prennent place des invasions (terme utilisé à Salvador pour qualifier les favelas). Là, de part et d'autres de rues étroites et souvent dénivelées, les moins aisés s'agglutinent dans des habitations illégales, faites de briques rouges et de matériaux de récupération.

Un corridor « revitalisé » et sécurisé

Comme ailleurs au Brésil, le quartier a bénéficié, dès le début des années quatre-vingt dix, de mesures de « revitalisation » de son front de mer destinées à accroître son attractivité, à créer de nouveaux espaces de citadinité, à favoriser la dispersion des flux routiers et la flânerie.
Ainsi, deux placettes ont été totalement réaménagées de part et d'autre de Avenida Sete et accueillent aujourd'hui des terrasses de cafés et de restaurants. Pour diminuer les traumatismes orthopédiques, fluidifier la circulation piétonne et offrir au regard un aspect plus uniforme et plus harmonieux, leur sol, autrefois composé de pavés portugais, a été remplacé par une dalle de béton. Des arbres ont été coupés. Le mobilier urbain, signé Decaux, emprunte aux standards européens. Un grand projet de revitalisation, qui prévoit une piétonnisation du quartier, est aujourd'hui à l'étude à quelques mois de la Copa.

Des formes de commerce institutionnalisé

Le vendredi soir, des baraquements sont installées, donnant à voir l'artisanat local (broderie, sacs tressés, travail du cuir....) autant qu'une institutionnalisation du commerce ambulant. Régulièrement, des vendeuses d'acarajé, toutes de blanc vêtue, s'installent à proximité des consommateurs, sous leur ponton, face à leurs bacs de friture. Outre leur participation aux ambiances olfactives du lieu, elles rendent visible et accessible, par cette pratique publique, une des spécificités socioculturelle de Salvador da Bahia : la prégnance de la culture afro-brésilienne dans la vie quotidienne bahianaise, et notamment le respect du culte du candomblé, cette religion mêlant rites catholique, indigènes et croyances africaines.

La requalification du trottoir

Côté balustrade, la requalification du trottoir, élaborée dès 2008 par la Fundaçao Mario Leal Ferreira, s'est appuyée sur des mesures strictes :

  • remplacement du sol en pavage portugais, jugé très dégradé, mal posé, inesthétique et inadéquat à la marche par un revêtement en béton, considéré comme plus fonctionnel, moins coûteux et techniquement plus efficace (résistance accrue, facilité de pose, qualité d'adhérence au substrat) ;
  • remplacement des bordures en pierre par des bordures de type « barcelone » en béton préfabriqué, choisies en raison de leur robustesse, de leur design, de leurs dimensions et de leur meilleure finition au sol ;
  • suppression de 6 amandiers, accusés de participer au rétrécissement du trottoir ;

Si ce projet de requalification du trottoir de Barra s'appuie – selon les termes même de la Fundaçao Mario Leal Ferreira – sur la nécessité d'offrir des conditions de déplacement favorables aux personnes à mobilité réduite et sur la nécessité de donner une harmonie d'ensemble au paysage littoral, il a suscité de nombreuses controverses chez les habitants du quartier et les intellectuels bahianais, accusant les autorités publiques de vouloir gommer le passé du quartier et saccager son patrimoine.

La sécurisation de l'espace public

A la pointe de la place, entre l'avenue et le front de mer, une guérite en béton accueille la police militaire. Le dispositif construit, son emplacement stratégique, la permanence des policiers (lourdement armés) et leurs rondes incessantes dans le quartier sont autant de signes manifestes et visibles de la volonté de l'Etat d'assurer la sécurité du quartier et de répondre aux exigences de la population.

Joelson, marche informée du 7 juillet 2011 :
E a presença da polícia militar aqui.... É bem visível. Guardas caminhando e carros [da PM] sempre passam aqui. Essa presença é necessária em toda a cidade né? Alguns lugares são mais protegidos que outros. A atmosfera do lugar muda, fica diferente, com a presença dos policiais militares. Inibe um pouco a violenza

La présence de la police militaire ici... C'est bien visible. Des gardes qui marchent et des voitures passent toujours par là. Cette présence est nécessaire dans toute la ville n'est-ce pas ? Quelques endroits sont plus protégés que d'autres. L'atmosphère change, devient différente, avec la présence des policiers militaires. Ca diminue la violence

Salete, marche informée du 7 juillet 2011
Policiamento no bairro, influencia sim! Fica melhor, né ? Fica mais seguro

La police dans le quartier, ça influence, oui ! Ça devient mieux, n'est-ce pas ? Ça devient plus sûr.

Des préoccupations environnementales naissantes

À ces mesures de sécurisation de l'espace public s'ajoutent, d'années en années, des mesures de salubrité publique et de protection de l'environnement. Partout, des poubelles sont installées dans le quartier et des campagnes de sensibilisation à la propreté de la rue sont mises en œuvre auprès des habitants et des commerçants. La plage n'échappe pas à ce vaste mouvement. Là aussi, des poubelles jaunes sont désormais juchées sur des piquets de bois. Des cohortes de volontaires organisent, à la veille des vacances d'été, des journées « plage propre » où chacun est mis à contribution pour ramasser les nombreux détritus laissés par les habitants sur le sable. Il s'agit désormais de préserver la beauté du littoral et d'exploiter sa potentialité touristique.

L'éviction de certaines présences

La masse des vendeurs ambulants et des enfants des rues présente à Barra, notamment sur la plage et le long de la balustrade, subit, depuis quelques années, des formes d'évictions massives. Chaque retour sur le terrain, depuis 2009, conduit notre équipe à constater la disparition progressive d'un certain nombre de ces figures du quartier et la progression constante du nombre des patrouilles policières à pied ou motorisées. Diverses raisons peuvent être invoquées.

La première est liée à la volonté de l'Etat Fédéral de désengorger les rues et de trouver une solution au conflit d'usage du trottoir (dénonciation par les piétons du mauvais entretien des trottoirs bahianais et de leur engorgement par les baraquements des vendeurs ambulants). A ces critiques répétées et désormais médiatisées, l'Etat Fédéral répond par des projets de « réforme » des trottoirs et par une plus grande institutionnalisation des pratiques de commerce ambulant.
La seconde raison est liée à l'approche de la Coupe du Monde et des Jeux Olympiques que le Brésil accueillera successivement en 2014 et 2016. Pour cela, l'Etat met en œuvre un certain nombre de mesures d' « assainissement » des quartiers, visant autant à enrayer la violence urbaine qu'à redorer l'image du pays au regard de la communauté internationale : mesures de contrôle du trafic de drogue, de sécurisation des zones touristiques, de lutte contre le travail des enfants, de gestion des habitants des rues...

Un côtoiement distant

Le quartier de Barra, comme beaucoup d'autres au Brésil, donne à voir une superposition de commerces divers (des ensembles commerciaux « de luxe », des supermarchés de quartier, des boutiques à devanture ouverte, du mercantilisme artisanal et/ou ambulatoire) qui non seulement participe de l'ambiance de la rue, exacerbe la visibilité des inégalités sociales mais aussi définit des manières de marcher et de se côtoyer en public particulières.
Ainsi, le clivage social se lit dans la rue, selon des temporalités bien distinctes, à la faveur de manières de se déplacer, d'attitudes et d'apparences corporelles fort différenciées.

Berlines climatisées aux vitres teintées

En début de matinée et en fin de journée, la semaine, aux heures de bureaux, les plus aisés circulent rapidement dans des berlines climatisées. Derrière leurs vitres fumées, à l'abri de leurs portières verrouillées, ils arborent le plus souvent les signes extérieurs de leur appartenance sociale : chemise ou polo de marque pour les messieurs ; tailleur et talons aiguilles pour les dames ; lunettes de soleil, sacs à main, téléphones portables et coiffures apprêtées pour tous. Comme la grille, le mur et la vigie, la voiture remplit deux fonctions : elle protège des agressions extérieures (la violence, l'insalubrité, les variations thermiques, le soleil, les mauvaises odeurs...) ; elle met l'autre, et en particulier les plus pauvres, à distance. La vitesse de déplacement qu'elle permet fonctionne comme une valorisation de soi : l'individu pressé n'a, du fait de ses responsabilités professionnelles, pas de temps à perdre. La lenteur, à l'inverse, est associée à la nonchalance et à la paresse.
Les étudiants et les personnes âgées, nombreux dans le quartier, empruntent traditionnellement le bus ou les taxis. Les personnes âgées ne se déplacent jamais seules, sauf les plus pauvres d'entre elles. On les observe en général le matin, à l'heure où les ardeurs du soleil ne fatiguent encore pas les organismes.

Marche à pied

Les plus pauvres, enfin, marchent à pied. Mais dans cette catégorie d'usagers, des nuances sont toutefois à apporter. La pauvreté au Brésil est traditionnellement assimilée, dans nos esprits occidentaux, à l'existence des favelas. La réalité est bien plus complexe. L'habitant des favelas occupe bien souvent un emploi régulier, loin de son quartier : portier, marchand ambulant, chauffeur de bus, jardinier, femme de ménage, loueur de chaises sur la plage... À l'image du nomade, son activité professionnelle le force à une mobilité importante, tant en termes de distance parcourue que de temps passé à se déplacer. Si le bus est traditionnellement utilisé pour franchir les distances les plus longues, son coût élevé (identique au coût des transports en commun parisiens) participe d'un recours fréquent à la marche. Aussi peut-on observer, aux heures de pointe, des cohortes d'hommes et de femmes aller et venir dans la rue ou entre les stations de bus et leurs lieux de travail. La plupart portent des sacs encombrants, tirent ou poussent des charges que l'on devine lourdes.

Les marchands ambulants participent autant de l'investissement de la rue que de l'ajustement permanent des conduites sur le trottoir. Pourtant, les pratiques diffèrent des uns aux autres.
Certains, comme les vendeurs d'acarajé ou de nourriture, stationnent dans l'espace en déployant des dispositifs (parfois imposants) de présentation de leur marchandise. Dans ce cas, une portion non négligeable du trottoir est rendue impropre à la marche à pied, voire quasi privatisée. D'autres, comme les vendeurs de cafezhino, d'eau potable ou de gaz vendent en marchant. Les vendeurs de colliers, de hamacs et de cangas (paréos pour la plage) procèdent un peu différemment. La plupart profite de l'existence de la balustrade en front de mer pour donner à voir et à toucher les différents articles. Des rituels partagés sont alors à observer : d'abord, le choix du meilleur emplacement (en fonction de la présence de l'ombre des arbres qui protège des ardeurs du soleil, en fonction du flux de piétons en promenade le long de la côte, en fonction des allées et venues des baigneurs entre la plage et la rue) ; puis, une mise en scène des articles sur la balustrade ; enfin, l'accostage des éventuels acheteurs par un sourire, une accolade, la présentation des objets.

Les habitants /enfants des rues

Parmi ces catégories d'usagers à pied, les « habitants des rue » offrent un dernier exemple. Pour eux, la marche n'est pas choisie. Elle est subie. L'habitant de la rue, reconnaissable à sa maigreur, son teint tanné, sa saleté, est celui ou celle qui vit, travaille parfois, mange et dort dans la rue. Nombreux sont les enfants concernés par cette situation. Si beaucoup sont attachés à leur quartier, la plupart erre à la recherche de nourriture, de vêtements, d'objets divers jetés au fond des poubelles, sur la plage ou dans la rue et qui, une fois revendus, offriront de quoi manger, boire ou consommer de la drogue.

Une hyperesthésie sensorielle

Du fait de cette animation permanente, Porto do Barra offre aux sens une profusion permanente de stimulations sensorielles, de nature diverse, qui conduit fréquemment l'observateur européen à verbaliser la sensation d'une hyperesthésie. Marcher dans ces ambiances excite, stimule mais aussi fatigue, épuise.

Côté plage

Le quartier offre une image vivante et bigarrée : le brassage des populations (habitants du quartier, usagers venus parfois de lointaines invasions, femmes et enfants, enfants des rues, vendeurs ambulants, personnes âgées, étudiants...) coexistent, donnant à voir en apparence des signes de décontraction et de cordialité. Visuellement, deux plans se font face. À l'Ouest, la présence de la mer et de la plage focalise les regards, favorise la contemplation, offre des possibilités de séjour ou de promenade. Sur le plan visuel, trois couleurs dominent : le bleu de la mer et du ciel, indescriptible tant il semble pur lors des matinées ensoleillées d'été ; l'ocre/jaune du sable et des poubelles plantées en hauteur sur des piquets de bois ; le blanc éclatant et parfois aveuglant de la balustrade, dont la prégnance varie en fonction de l'ardeur et de la position du soleil dans le ciel.
À cette prégnance visuelle de la couleur s'ajoute celle des éléments naturels : l'eau, le sable mais aussi les arbres. Chacun de ces éléments joue ensemble, mais sur des registres sensibles différents et selon des temporalités bien marquées. Ainsi, la mer marque le quartier de son empreinte sonore, dès lors qu'à marée haute le ressac des vagues couvre les bruits de la circulation. En soirée, à l'heure où le quartier se vide de ses véhicules et de ses piétons, ce ressac berce les quelques couples enlacés le long du rivage ou les habitants des rues venus se réapproprier leur lieu de vie. À marée basse, c'est une empreinte olfactive, mêlée d'odeurs d'iode, d'algues et de poissons en décomposition, qu'elle laisse davantage. Le sable œuvre, quant à lui, d'un point de vue tactile : ses grains réchauffés ou mouillés massent la voûte plantaire, font s'enfoncer les orteils, obligent à dérouler le pied, conservent les traces de passages éphémères. Enfin, la présence d'arbres, alignés face à la balustrade, revêt une importance thermique et visuelle. En journée, leur feuillage dense offre une ombre rafraîchissante aux corps exposés au soleil et une protection vis-à-vis des réfléchissements (lumineux et thermiques) causés par la blancheur de la balustrade. En soirée, ils sont source d'anxiété, voire d'angoisse, leur ombre projetée empêchant une visibilité pourtant nécessaire dans des rues souvent soumises à la violence urbaine.

Marche urbaine collective du 5 juillet 2011 en matinée :
Outra coisa são as texturas naturais extensas, que seria a grande porçao de rochas, de água, a grande porção de areia. Tem também a diferença entre o dia e a noite, pela diferença da luz. Enquanto a noite a tendência è olhar para o mar, porque todos os postes estão orientados para você, ofuscando. Pela manhã; è o contrario, estando no pé do mar, se volta para a praia. A noite, de alguma forma as luzes de Itaparica formam com a lua uma luminosidade na água do mar, que você acaba olhando, e de dia Itaparica se confunde com o mar, você não distingue o que e mar e o que e terra

L'autre point, c'est l'étendue des textures naturelles, une grande étendue de rochers, d'eau, une grande étendue de sable. Il y a également une différence entre le jour et la nuit, une différence de lumière.

Côté rue

Côté rue, l'ambiance est marquée par une forte prégnance des modalités olfactives, sonores et lumineuses dont les modulations interviennent dans l'appréhension même de l'hospitalité (sensible) du quartier. Ainsi, le piéton marche dans une ambiance mêlée d'odeurs de gaz d'échappement, d'huile de palme (utilisée pour la friture des acarajés), de crème solaire et de peau nue. Sur le trottoir, côté commerce, ce sont davantage les odeurs de nourriture qui prédominent en journée et qui viennent mettre en question la porosité des espaces privés et publics. Le vent, toujours présent sur le front de mer, joue à ce titre un rôle majeur dans leur dispersion. En soirée, le sillage des odeurs de camions poubelles s'ajoute à cette mosaïque olfactive qui ne cesse d'envelopper chacun. Les façades éclairées des commerces et des pousadas attirent aussi l'attention, tant elles forment une ligne de lumière sécurisante pour le piéton.

Marche urbaine collective du 4 juillet 2011 en soirée :
Percebemos lá do outro lado uma mistura de luz, que chamamos de « cenográfica », mas também uma luz necessária, daria um clima de noite mas que poderia ser utilizada durante o dia. Percebemos também quem os cheiros mudavam muito conforme a gente passava em cada restaurante.

Nous percevons là de l'autre côté un mélange de lumière, que nous appelons « scénographique » mais qui est aussi une lumière nécessaire, qui participe de l'ambiance la nuit mais qui pourrait être utilisée le jour. Nous percevons aussi que les odeurs varient beaucoup lorsque nous passons devant les restaurants.

Marche urbaine collective du 5 juillet 2011 en matinée :
Aqui nesse primeiro quarteirão sentimos cheiro bem forte de comida; peixe, frango, tempero e feijão. E quando fomos a essa praça sentimos mais uma sensação de habitação.

Ici, dans cette première partie, il y a des odeurs bien fortes de cuisine : poisson, poulet, haricot. Et quand nous étions sur cette place, nous avions l'impression d'un sentiment de chez-soi.

L'ambiance sonore est, en journée, largement dominée par les bruits de la circulation routière (voiture, taxi, camions, bus) dont l'intensité reste importante d'environ 6H30 du matin à 21H le soir. De manière régulière également, et plus fréquemment encore en fin de semaine ou durant les périodes fériées, des rythmes musicaux viennent couvrir cette ambiance routière. Ils s'échappent des nombreuses boutiques et restaurants alignés face à la mer, ou des coffres de voitures (garées près du Fort de Santa Maria ou en bordure de trottoir) dans lesquels sont installés des amplificateurs.

Marche urbaine collective du 5 juillet 2011 en matinée :
é aquela rua, não tem mais os obstáculos de lixo. Não em tanto obstáculos físicos, mas tem, é muito mais aguçante esse barulho e estes manjares, esse mau cheiro até. A noite há mais obstáculos de mobilidade e de dia há mais estímulos sensoriais. Inclusive a luminosidade faz a gente observar melhor visualmente.

Dans cette rue, il n'y a pas d'obstacles liés à la présence des poubelles. Ce ne sont pas des obstacles physiques mais il y a plutôt des bruits agaçants, des mauvaises odeurs. La nuit, il y a davantage d'obstacles de mobilité et le jour il y a plutôt des stimulations sensorielles. Y compris la luminosité qui fait que les gens peuvent mieux se voir, s'observer mutuellement.

Nombreux sont d'ailleurs les piétons, hommes ou femmes, plus ou moins âgées, qui dansent ou plus justement ondulent leurs corps à l'écoute de ces sonorités rythmées. Ces pas dansés et cette « ginga » si fréquemment décrite pour rendre compte de la manière de marcher brésilienne tirent parti ou à l'inverse s'adaptent aux textures des sols.


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Découvrir // Redoma de Petare (VE)

Vue aérienne d'ensemble

Entre espace-temps du transport
et immense marché

Les abords de la redoma

Un lieu d'interconnexion
pour les transports collectifs

Redoma de Petare

Le secteur de la Redoma de Petare, situé au pied d'une des plus vastes zones auto-construites d'Amérique latine, doit son nom au rond-point autour duquel se développe un secteur d'intense activité urbaine. Initialement conçue pour distribuer le trafic routier à l'est de la capitale.

L'importance du secteur du point de vue des mobilités est aussi liée à sa fonction d'intermodalité et d'interconnexion pour les transports collectifs : il est desservi par une station de métro, plusieurs dizaines de lignes et arrêts de bus, minibus, taxis ou mototaxis, formels et informels. De par sa position de carrefour, la Redoma de Petare représente également une très importante zone commerçante.

Point de passage obligé vers le reste de la ville pour les plus de 600 000 habitants des barrios escarpés de Petare, la Redoma est fréquentée chaque jour par des dizaines de milliers de citadins et 20 000 personnes par heure qui y transiteraient en heures de pointe.1

De par sa position de carrefour, la Redoma de Petare représente également une très importante zone commerçante : lieu de chalandise privilégié pour les habitants de Petare -les produits y sont moins chers qu'à l'intérieur des barrios peu accessibles aux véhicules motorisés-, elle offre plus largement un « commerce de correspondance » à l'ensemble des citadins qui transitent par ce secteur au cours de leurs trajets quotidiens.

Le long des avenues se déploient plusieurs grands marchés couverts, des centaines de boutiques en tous genres (boulangeries, pharmacies, quincailleries, magasins de vêtements, d'articles religieux...) et entre 1500 et 3000 vendeurs de rue (buhoneros) y sont installés2, tirant profit de la proximité des commerces formels et de la densité des flux. Toutes les formes de vente de rue sont là représentées : stands semi-permanents composés d'une table et d'un parasol ou d'un auvent de fortune, cuisines-comptoir de rue, “produits d'opportunité” vendus en marchant (café le matin, parapluies lors des averses... ), vente à la sauvette proposant, dans un chariot ou à même le sol, des fruits, des cd piratés, des articles de mercerie

La situation de la Redoma de Petare se rapproche en cela d'espaces-carrefours où pratiques de mobilité et activité de commerce s'avèrent tellement indissociables qu'ils finissent par « devenir de véritables centres commerçants en soi »3. Et si le commerce informel y évoque un paysage familier des villes d'Amérique Latine, sa concentration prend ici un caractère exceptionnel, rendant les limites particulièrement floues entre les multiples espaces complexes et imbriqués qui composent la Redoma. En un mot, pratiques de mobilité et activité de commerce y sont tellement indissociables qu'il est difficile de savoir si celle-ci est avant tout un espace-temps du transport ou un immense marché.

L'encombrement permanent de l'espace par les buhoneros, la présence de nombreux arrêts de transports improvisés, l'intensité du trafic motorisé et la densité des flux piétons y cristallisent alors d'importants problèmes : congestion de la circulation et manque d'accessibilité, difficultés de gestion des déchets et mauvaises conditions d'hygiène, insécurité viaire ou associée aux vols, précarité des conditions d'exercice de beaucoup de commerçants… Ces problèmes révèlent les apories d'un espace urbain conçu pour répondre aux besoins de mobilité mais qui ne cesse d'être mise en échec dans sa vocation. A tel point que sa représentation la plus courante pour les Caraquéniens est d'être « le lieu où se matérialise la théorie du Chaos ».4


1 Dos Santos R. Isaura, Heredia S, Aury, Hoffmann M. Sara. Movilidad peatonal en la Redoma de Petare y su contexto inmediato: Informe final. Universidad Simón Bolívar, Departamento De Planificación Urbana, cours "Dinámica social urbana", ss dir. Silverio González Téllez, décembre 2011, 68 p.
2 http://www.eluniversal.com/caracas/120201/el-olvido-le-gano-al-mercado-de-buhoneros-de-petare-imp
3 Jean-Fabien Steck « La rue africaine, territoire de l'informel ? », Flux 4/2006 (n° 66-67), p. 73-86. URL : www.cairn.info/revue-flux-2006-4-page-73.htm. + Jérôme Monnet, Angela Giglia et Guénola Capron, « Ambulantage et services à la mobilité : les carrefours commerciaux à mexico », Cybergeo : European Journal of Geography [En ligne], Dossiers, Ambulantage et métropolisation, document 371, mis en ligne le 06 avril 2007, consulté le 07 mai 2013. URL : http://cybergeo.revues.org.gate3.inist.fr/5574
4 "el lugar donde para muchos se materializa la Teoría del Caos". In "Recuperar la redoma de Petare pasa por alejar las terminales", quotidien EL UNIVERSAL, lunes 19 de octubre de 2009. http://noticias.eluniversal.com/2009/10/19/ccs_art_recuperar-la-redoma_1616578.shtml


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Découvrir // St Pancras international (GB)

Heure de pointe dans le hall latéral de St Pancras International

Autorisations officielles

Plan de St Pancras International

Gare St Pancras International, Londres, Janvier 2012 :
De l'émotion à la motion, de l'espace policé à l'espace polissé.

Trois jours passés à la gare St Pancras sans pouvoir relever aucun détail prégnant.

J'étais arrivée à Londres pensant observer les moments où la surveillance de la gare se cristallise : la présence policière pendant le rush-hour, les agents de sécurité observant des écrans de vidéosurveillance indiquant les lieux et moments spécifiques, les comportements supposés suspects, le contrôle des titres de transport et des bagages, la détection de valises abandonnées, l'énonciation des annonces sonores mettant en garde les usagers...
Je pensais aussi remarquer des étapes liées à la surveillance dans le trajet des passagers : les lieux et les dynamiques d'attente et de mobilité ne sont-ils pas orientés par la surveillance ou d'autres formes de contrôle ? Les différents dispositifs de surveillance créent-ils des transitions d'ambiance dans le trajet, et, le cas échant, comment les corps des voyageurs s'ajustent-ils à celles-ci ?

Or, trois jours durant, je n'ai rien observé qui ait pu répondre à ces premières attentes. Ce temps d'immersion m'a cependant permis de remarquer certains éléments, mais uniquement des éléments absents : il n'y a pas de bruit, il n'y a pas d'odeur, il n'y a pas de patrouille d'individus en uniforme, il n'y a pas de sans abris, pas de mendicité, pas d'annonces sonores intempestives, pas de saleté, pas de déchet, peu de personnes qui courent, pas de foule énervée, pas de longue file d'attente à l'enregistrement des Eurostars, pas de groupe de jeunes aux cafés et restaurants...

Ces absences inattendues mises à part, aucune aspérité, aucun dysfonctionnement visible pour attirer notre regard : l'espace est lisse, beau, lumineux, assez silencieux et complètement fonctionnel. La signalétique est discrète mais claire. Les flux de piétons, bien que plus denses aux heures de pointe, s'écoulent sans difficulté vers les différentes sorties et connexions. Le plan de la gare est limpide : un axe principal, deux axes latéraux, deux niveaux. À chaque extrémité se trouvent des accès aux différents types de trains, une sortie, ou une connexion avec le réseau de transport en commun. La verrière diffuse une douce lumière qui glisse sur les couleurs pastelles et les matières mates du mobilier (vert d'eau, bleu ciel, gris poli, brique). Les corps sont en mouvement et évoluent de façon continue sur le sol net du hall principal.

Il m'a fallu sortir de cette gare, traverser Pancras Road et entrer dans la gare voisine, King's Cross, pour commencer à comprendre certaines choses. Alors que St Pancras International a fait l'objet d'un agrandissement permettant l'accueil de l'Eurostar entre 2004 et 2005, King's Cross Station est actuellement en pleine restructuration.

Un grand dôme de verre et d'acier est en construction. Il vient épouser la façade Ouest de la gare victorienne créant un nouveau hall principal et une place publique couverte. Ce nouvel élément est assez majestueux. La structure triangulée est parée d'ouvertures zénithales.

À quelques mètres du sol serpente un large balcon qui accueillera bientôt les terrasses de cafés et restaurants, depuis lesquelles on observera la foule attendant l'affichage des trains. Les formes courbes viennent caresser la vieille gare. Lumière, blancheur, volume, hauteur, espace.

Un couloir de chantier conduit vers le centre de la gare. Il est orné de nombreuses affiches valorisant le projet de restructuration dans un discours prônant plus de confort, de sécurité et d'efficacité (« Building a brighter station. The new King's Cross will be lighter, more spacious and much easier to get around. Helping Britain run better »).

L'arrivée dans l'ancienne construction est vécue comme une franche coupure et provoque un net contraste : la pénombre, des gens, des trains colorés, une odeur de cigare, des valises, un bruit sourd. Contrairement à St Pancras, les quais sont accessibles. La proximité des wagons invite à entrer dans les compartiments, à venir tester les sièges mous et partir pour Aberdeen. Une annonce inaudible, des personnes empressées se frôlent, courent en tirant leur valise. Des pans de murs, des voies ferrées alignées, une ouverture laissant le regard attraper une perspective : succession de parois de briques. Des effluves sucrées provenant d'un petit stand où l'on vend des tourtes, spécialité d'une petite ville minière proche de Plymouth.

L'air est épais, le contexte stimulant, un sourire me vient et je réalise : cet endroit est vivant. J'ai l'impression que mes sens, anesthésiés après trois jours passés dans une ambiance doucement confortable, reprennent une certaine vigueur. Ici on est tiraillé, on court après son train, on se bouscule, se regarde et s'échappe un mot d'excuse. On s'inquiète d'éventuels pickpockets. On observe les regards côte à côte, pointés sur l'unique panneau d'affichage des trains.

Une étrange impression vient alors : serais-je témoin d'une ambiance en train de disparaître ? Je ne peux effectivement pas m'empêcher de penser que cette portion de gare pas encore rénovée fait partie des derniers résidus de la ville moderne de Simmel, Benjamin et Kracauer.
La ville contemporaine n'est-elle plus à même d'éveiller nos sens, de jouer de nos émotions ? Alors que Simmel parlait d'intensification de la vie nerveuse comme processus engendré par la grande ville moderne, sommes-nous aujourd'hui en train d'assister à un mouvement de désintensification de la vie nerveuse ?

C'est donc à partir de l'expérience de ces deux gares londoniennes (et dans la comparaison entre la restructuration de l'une et la partie toujours intactes de l'autre) que je me suis interrogée quant à l'évolution des espaces de mobilité que sont les gares. Serions-nous témoins d'un certain changement concernant la surveillance des lieux de mobilité ? Se pourrait-il que, dans la conception de ces espaces, la motion soit aujourd'hui pensée aux dépens de l'émotion ? Un nouvel espace polissé est-il en train de venir remplacer l'ancien espace policé ?

Il semble que la restructuration de St Pancras témoigne d'une évolution des formes de surveillance, alors intégrées au sein de la conception. À St Pancras (que nous proposons ici de qualifier d'espace polissé) les caméras de vidéosurveillance sont intégrées au mobilier ou à la structure du bâtiment.

Leur design reprend les formes et couleurs des lieux. Si les caméras de St Pancras se fondent harmonieusement dans leur environnement (sans pour autant être camouflées), celles présentes dans l'espace policé de King's Cross sont à l'inverse extrêmement visibles, par leur nombre et leur forme. Souvent regroupées en étoile, ces caméras unidirectionnelles sont ornées de pics métalliques pour les protéger des volatiles. De plus, de nombreuses affiches annoncent l'emploi de la vidéosurveillance. Un écran diffuse à intervalles réguliers une animation dans laquelle le dessin stylisé d'une caméra observe de son unique œil les spectateurs et les informe : « CCTV operates in this area ». Puis l'écran se remplit d'une pluie de valises lorsqu'apparaît cette recommandation explicite : « Please keep your belongings with you ».

À St Pancras, une annonce sonore est diffusée dans un environnement calme. Une voix enregistrée articule distinctement ce message : « This is a security announcement. Please ensure that your personal effects and your baggages are kept with you at all times. If you notice any suspicious items or behaviors, please report it immediatly to a member of staff or to the British Transport Police ». Ce message rappelle calmement aux usagers de porter attention à leurs effets personnels et les invite à prendre part à la surveillance générale de la gare en rapportant tout élément suspect aux agents de sécurité. À chaque fois identique, cette annonce est diffusée toutes les demi-heures, s'apparentant à une ponctuation sonore.
À King's Cross, les annonces sont beaucoup plus fréquentes. Au cours d'une traversée de la gare d'environ 13 minutes nous avons pu compter 6 annonces liées à la sécurité : deux annonces concernaient la vidéosurveillance (« 24 hours CCTV recording is in operation at this station for the purpose of security and safety management »), trois autres mettaient en garde les voyageurs contre le risque de chute pour cause d'intempéries et de sol glissant, et une dernière les invitait à surveiller leurs bagages. Ces annonces sont plus ou moins audibles selon l'endroit de la gare dans lequel on se trouve.
Une autre différence en terme de mise en visibilité des éléments de la surveillance concerne les agents de sécurité. À St Pancras, les personnes en uniforme (qu'elles soient rattachées à la British Police Transport, qu'elle fassent partie du St Pancras Customer Service, ou d'un autre service) sont souvent en petits groupes, et peu mobiles. Il n'y a pas de patrouille. Ces personnes sont visibles et semblent ouvertes au dialogue. De nombreux usagers vont se renseigner auprès d'elles. Tandis qu'à Kings Cross, les personnes en uniforme sont mobiles et les patrouilles plus fréquentes. D'autres agents de sécurité sont habillés en civil.

Il semble que l'une des différences notables entre ces deux types d'espace concerne la mise en visibilité des formes de surveillance et de contrôle. Dans ce que nous nommons l'espace policé, la surveillance est visible, présente et imposante. À travers la mise en évidence des caméras de vidéosurveillance, des agents de sécurité et la répétition fréquente des messages (visuels ou sonores) à but sécuritaire, il semblerait que la dissuasion, la restriction et le contrôle donnent lieu à une mise en vue explicite et imposante pour les passagers. Tandis que dans l'espace polissé, la surveillance et la sécurité semblent intégrées dans la conception de l'espace et dans les comportements attendus. La surveillance n'est pas surplombante mais partagée. Chacun, dans son comportement, ses déplacements, sa capacité d'observation et sa possibilité d'alerter les agents de sécurité, prend part au bon fonctionnement de l'espace.

Bien que ces deux types d'espaces convoquent et sollicitent de façons différentes les perceptions visuelle et sonore, nous pourrions nous interroger quant à l'ensemble de l'expérience sensible qu'ils proposent. Existe-t-il une ambiance spécifique à l'espace polissé ? Se pourrait-t-il aussi que la sécurité d'un espace polissé passe en premier lieu par la conception de cette ambiance spécifique ?


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Découvrir // Gare du Nord (FR)

Vue panoramique de l'entrée de la Gare du Nord, côté gare régionale

Coupe Gare du Nord

Les différents niveaux de la Gare du Nord

Traversée latérale de la gare du nord, au long des quais, d'Est en Ouest

Gare du Nord

Issue des travaux d'embellissement et d'extension de Paris entamés au XIXe siècle, la Gare du Nord, livrée en 1864, était une porte de la capitale desservant alors le Nord de la France, comme son nom l'indique. Avec l'agrandissement des limites de la capitale, comme l'expansion de l'agglomération francilienne, elle est devenue un point central de la métropole, passant ainsi de gare périphérique à gare centrale. Depuis l'arrivée du RER en 1970, un nœud de mobilité capital aux échelles métropolitaine, régionale et internationale. Enfin, avec un nombre de passagers supérieur à 550 000 par jour (un peu moins de ¾ des voyageurs proviennent, ou vont vers la banlieue, le reste voyageant sur des connexion nationales et internationales), cette gare est la seconde plus fréquentée au monde après Shinjuku au Japon, et la première en Europe.

Multiples gestions, multiples frontières

Cette gare est le lieu de gestions ferroviaires multiples :

  • Internationales : Eurostar vers l'Angleterre et Thalys vers l'Europe du Nord
  • Nationales : SNCF (TGV et Intercités) vers le nord de la France
  • Régionales : TER vers le nord de la France
  • Métropolitaines : Transilien (SNCF), RER B (SNCF/RATP) et RER D (SNCF) vers la banlieue Nord et Nord Ouest Parisienne ; RER E (SNCF) vers la banlieue Est Parisienne.
  • Urbaines : Métro (RATP)

L'espace de la gare est quand à lui propriété de Gares & Connexion, filiale de la SNCF gérant son patrimoine immobilier. Néanmoins, bien que la gestion immobilière de l'espace de la gare du Nord ressorte d'une seule compagnie (à l'exception du métro qui est géré par la RATP), des traductions matérielles de ces gestions multiples sont aisément repérables dans la gare. Ces traductions prennent d'abord forme dans l'organisation du faisceau ferroviaire et a pour conséquence une partition de la gare distinguant les connexions internationales, nationales, régionales et banlieusardes.

Plan des quais de la gare du Nord. Les deux quais les plus à gauche (4 voies), correspondent aux liaisons internationales. Les trois quais suivant concernent des liaisons nationales, puis les deux suivants des connexions régionales. Les quatre quais situés sur le décroché dans la partie droite correspondent au connexions de banlieue (transilien). Source de l'image : www.railteam.eu

Cette partition de l'espace est génératrice de frontières matérielles ou non. La plus visible est probablement celle qui concerne l'Eurostar. L'Angleterre ne faisant pas partie de la zone de Schengen, les passagers de l'Eurostar sont soumis à un passage en douane. De fait, l'accès à ce train s'opère par l'intermédiaire d'une plateforme situé au 1er étage de la gare, et non depuis les quais, et les trains eux-mêmes ne sont pas accessibles physiquement depuis le hall central de la gare, bien qu'ils soient visibles, puisque placés derrière un mur de verre.

Accès aux Eurostar par une plateforme surélevée
(source : parisbytrain.com).

 

Eurostars situés derrière une frontière en verre
(photographie personnelle)

D'autres frontières, telles les séparations entre type de connexion sont plus discrètes, et n'ont pour conséquence que la pose d'une grille entre deux voies par exemple, ce qui n'a que peu d'incidence sur les passagers. En revanche, le placement des voies des trains de banlieue réalisant de fait un décroché par rapport au reste des voies de la gare, confère à ces trains et à ces passagers un statut très particulier, un peu exclus du reste de la vie de la gare, ne profitant pas de la grande salle d'attente et de son panneau d'affichage des destinations, et de son ambiance. Cette frontière opère même très subtilement dans la mesure où pour celui qui ne connaît pas très bien la gare, comme les membres britanniques de l'équipe, ou pour ceux qui n'ont utilisé que les trains internationaux ou nationaux, comme les membres français de l'équipe, l'existence de cette gare de trains de banlieue (exception faite des RER dont tout le monde savait que leur gare est souterraine), située au même niveau que les autres trains, était tout simplement non soupçonnée. En effet, l'accès aux quais est située très en arrière de l'espace de la gare, et surtout, là où les connexions nationales et internationales jouissent d'une mise en scène des trains, exposés directement sur l'avant de la salle d'attente, ceux desservant la banlieue sont au contraire masqués derrière un immense guichet central, surplombé d'un ensemble d'éléments visuels (affiches, panneaux, verrières), captant le regard dans d'autres directions.

Un autre type de frontière est également opérant au sein de la gare du nord et touche directement aux matérialités en présence. En effet, la gare du Nord est gérée par Gare et Connexions pour sa partie ferroviaire, et par la RATP pour le métro. Ce changement de gestions a des effets très visibles dans l'emploi des matériaux, lesquels expriment la primauté des identités des gestionnaires sur celles du lieu. L'image ci-dessous illustre cette matérialisation des identités : la SNCF est présente à travers l'usage du béton brut (mur et poutre situés à gauche de l'image) et le sol en lames de bois ; la RATP matérialise son existence par l'emploi de la faïence blanche typique du métro parisien, et les entrées de la station de métro sont balisées au sol par l'apposition d'une ligne noire (à gauche et au fond de l'image), symbolisant le passage d'un monde à l'autre. Enfin, jusque dans les signalétiques, on voit à quelques mètres d'intervalle deux mondes cohabiter, entre les panneaux aux écritures blanches sur fond bleu de la SNCF, et ceux aux écritures bleues sur fond blanc de la RATP (au fond de l'image).

La matérialisation des frontières en Gare du Nord.

Dispositifs de sécurité et surveillance dans la Gare du Nord

Comme toutes les grandes gares françaises, la Gare du Nord est l'objet d'une surveillance accrue en raison de l'application du plan Vigipirate. Cela se traduit en particulier par une présence visible de militaires armés et patrouillant de manière visible et continue dans les espaces de la gare. Lors de nos investigations, nous avons eu l'occasion de repérer des agents de sociétés privées de sécurité, des officiers de la police ferroviaire, des agents de police nationale et des policiers en civil. En ce qui concerne la vidéosurveillance, cette dernière est présente et visible (cf. image ci-dessous), mais la présence des caméras nous a paru beaucoup moins importante et manifeste que celle observée à Londres St-Pancras. Nous avons essentiellement remarqué quelques mâts équipés de caméras, des caméras multidirectionnelles situées sous la plateforme d'accueil des Eurostar, et des caméras pointant sur chacun des quais de la gare, ces dernières étant probablement plutôt destinées à la gestion ferroviaire qu'on contrôle des passagers. Par ailleurs, des affiches réalisées par la SNCF, disposées en gare et représentant une caméra de surveillance tel un cyclope bienveillant, informent les voyageurs que l'espace de la gare est placé sous vidéosurveillance, ce afin d'assurer leur « tranquillité ».

 

À gauche : un mât équipé de caméras de vidéosurveillance pointant dans toutes les directions, situé dans le hall d'accueil de la Gare du Nord. À droite, l'affiche « pour votre tranquillité ».


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Découvrir // Poblenou (ES)

Douceur des pentes à Poblenou

Génèse Urbaine

Lieux remarquables au moment des
observations et expérimentations in situ

Murs et enceintes

Découvrir // La Défense (FR)

Le mille-feuille de La Défense

Génèse Urbaine

Lieux remarquables au moment des
observations et expérimentations in situ

Surplombs et superpositions

Les sites en miroir (La Défense - Poblenou)

Le travail d'analyse se développe sur deux sites, dans le grand Paris (La Défense) et à Barcelone (Poblenou), qui ont pour particularité de juxtaposer des fonctions extrêmement différentes dans un entrelacs urbain.

Dans les deux cas, un cimetière (ou deux cimetières très proches) construit en dehors de la ville dans les XVIIIème ou XIXème siècle se retrouve aux entrailles de quartiers nouveaux ou en pleine mutation. Dans le cas grand parisien, les cimetières de Neuilly et Puteaux construits fin du XIXème siècle sont aujourd'hui en plein quartier d'affaire, dominés par la dalle de la Défense et les hautes tours de bureaux. Dans le cas Barcelonais, le cimetière dit “vieux” ou “de l'est”, construit en bord de mer fin du XVIIIème siècle se retrouve un siècle plus tard tout contre le quartier industriel de Poblenou (“nouveau village”), construit sous le modèle du plan de Cerdà pour loger les ouvriers de l'industrie textile. De plus, ce quartier s'est grandement transformé depuis les années 2000 puisque la ville de Barcelone, avec le projet 22@ le promeut comme le quartier de l'innovation urbaine, économique et sociale, un modèle de ville « compacte et dynamique ». La réhabilitation du quartier comprend aussi de nouveaux parcs (le jardin urbain de 5 hectares en bord de mer conçu par les ateliers de Jean Nouvel est inauguré en 2007) et le réaménagement d'espaces publics (la rambla de Poblenou).

Les cimetières ont des superficies assez similaires mais des densités très différentes (70 000m2 pour 10 500 sépultures au cimetière de Neuilly, 53 632 m2 pour 30 768 sépultures au cimetière de Poblenou) et ne proposent tous qu'un seul accès. À La Défense, les cimetières sont au niveau du sol naturel, dans un creux dominé par l'urbanisme de dalle et de tours. À Barcelone, le cimetière forme une proéminence avec ses hauts murs d'enceinte, et seul le porche de l'entrée laisse entrevoir son intérieur.

Ces deux cas présentent une situation urbaine particulièrement intéressante du point de vue du côtoiement par les espaces publics situés à proximité : le site parisien présente une traversée en surplomb visuel des cimetières (la « jetée ») alors que le site barcelonais présente une situation de contournement d'un haut mur fait obstacle. Dans les deux cas, la forte présence d'axes routiers majeurs est un point commun ainsi que la présence de parties végétales.

L'étude de ces deux terrains va nous amener à comparer deux manières différentes d'appréhender des surfaces intouchables de cimetières qui se retrouvent depuis plusieurs décennies au centre de quartiers en pleine mutation. Les positionnements politiques, culturels ou découlant de la morphologie même du cimetière seront étudiés en parallèle des pratiques et des ambiances qui font ces lieux ainsi que les espaces publics alentours.

Vue vers Nanterre, des situations visuelles de surplomb : la jetée et la nappe végétale couvrant le cimetière à droite
© Collectif « Paradoxes d'ambiances »

Vue d'un étage élevé sur le cimetière enserré derrière ses murs entre les quartiers habités, les entrepôts anciens et le littoral
© Collectif « Paradoxes d'ambiances »


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Enquêter // Parcourir

Parcourir Caracas

Voyage d'un chariot à St Pancras

Eprouver les ambiances et les mobilités

Faire corps – prendre corps – donner corps

Partage et conflit dans
l'espace public

Workshop Faire corps, prendre
corps, donner corps aux
ambiances urbaines

Traversées sonores de deux gares

Il s'agit de deux prises de son réalisées en marchant à pas modéré, dans les deux gares. Pour chaque traversée, l'enjeu consiste à donner à entendre le paradoxe d'une diversité subtile des situations locales rendues particulièrement unifiées par le fond sonore global des ambiances des deux gares.

Ces traversées visent par là même à rendre compte des sous-espaces sonores des gares - lesquels ne correspondent pas toujours aux sous-espaces visuels - qui sont dans les deux cas parcourues dans leur plus longue dimension :

  • à Saint Pancras : depuis les accès du métro, du côté de Euston Road (Sud-Ouest) jusqu'à la sortie située au croisement de Pancras Road et de Battle Bridge Road (Nord-Est)
  • à Paris Nord : depuis l'entrée de la gare régionale (Est) jusqu'aux voies de l'Eurostar (Ouest)

Faire corps – prendre corps – donner corps

Le projet de cette recherche étant de comprendre et de montrer comment les processus de pacification s’incarnent dans le quotidien du piéton, un présupposé méthodologique fort a très tôt été partagé au sein de l’équipe : la nécessité d’une immersion par corps et répétée, au sein des terrains d’enquête. Après une première incursion en 2008 et 2009, à la faveur d’un contrat de recherche portant sur « l’aseptisation des ambiances piétonnes au XXIe siècle » (Thomas et alii, 2010), la même équipe de chercheurs a donc fait le choix de retourner au Brésil chaque année jusqu’en 2014.
Cette immersion par corps a pris trois formes itératives qui, chacune, relève d’un mode d’appréhension des terrains particulier :

  • Faire corps ou S’imprégner
    Dans cette perspective de l’imprégnation, voire de l’engagement (Thomas, 2010, 2012), nous sommes revenus à des méthodes d’enquêtes proches de l’ethnographie, avec des temps « d’habitation » du terrain d’enquête allant de plusieurs mois à 1 semaine. Dans cette phase du travail, le corps du chercheur, tel qu’ « en prise » et affecté par les diverses situations auxquelles il participe, constitue un instrument de captation et d’intelligibilité des processus qui travaillent le terrain.
  • Prendre corps ou Incarner
    Le « prendre corps » répond à une épistémologie de l’incarnation. Il s’organise à travers deux mouvements conjoints : se frotter à la matière sensible de la ville en éprouvant les ambiances et les corps-à-corps qui participent de l’expérience urbaine ordinaire ; observer et mettre à l’épreuve la plasticité des corps (ceux des chercheurs et ceux des autres piétons) « en prise » avec l’environnement.
    Un tel déplacement - au regard de nos méthodes d’enquêtes habituelles - exige du chercheur qu’il accepte la déstabilisation de ses manières d’être et de faire autant que la fragilisation de ses certitudes et des présupposés avec lesquels il appréhende d’ordinaire le terrain.
  • Donner corps ou Traduire
    L’idée qui sous-tend cette phase du travail d’enquête est que la mise en œuvre d’une pensée du corps implique nécessairement la création de langages et d’outils descriptifs particuliers.
    Le détour par des formes et des supports d’écriture de vulgarisation originaux et contemporains, tels le blog (http://apaisement.wordpress.com/ et http://atelier5ufba.blogspot.fr), le carnet de recherche, le journal de bord, le compte-rendu d’expériences, les planches photos… ont ici été testés pour à la fois traduire les résultats de nos investigations et les rendre appropriables par le lecteur. Outre le passage d’une langue à une autre (du français au portugais et inversement), la nécessité de la traduction rend donc compte ici d’une démarche-passerelle entre des champs disciplinaires (la sociologie urbaine, l’architecture et la danse) et des publics (chercheurs, étudiants, usagers) qui ont tenté d’entrer en dialogue au cours de cette recherche.

Les marches urbaines collectives

Dans une première phase d’enquête (juillet 2011), une marche urbaine collective est organisée entre les deux terrains d’étude – Praça da Piedade et Porto do Barra – avec les étudiants et enseignants-chercheurs de l’atelier 5 avec lequel nous collaborons. Elle avait été précédée en mars par une série de « dérives urbaines » mises en œuvre par les enseignants (P. Berenstein-Jacques et E. Texeiro Carvelho) en charge de la coordination de cet atelier de projet urbain pour se familiariser au terrain.

Cette proposition de dérives – puis de marches urbaines collectives - est d’emblée déstabilisante pour les participants à l’atelier : la marche est davantage le mode de locomotion des plus démunis que celle des enseignants et étudiants (qui lui préfèrent la voiture, le taxi collectif ou le bus) ; la durée du trajet (1H30), sous ses latitudes, est longue et fatigante ; nous leur proposons en outre d’effectuer le parcours « en aveugle ». L’objectif de cet exercice est de permettre aux participants d’appréhender les ambiances de ces quartiers et de ce trajet, au-delà des caractéristiques architecturales, des défauts d’aménagements et des images à travers lesquels ils nous les présentent ordinairement. Par ailleurs, la marche en aveugle oblige à se concentrer sur « ce que l’aménagement et les ambiances font à mon corps lorsque je marche »

Photos 1 et 2. Entre Piedade et Porto da Barra : parcours en aveugle. Juillet 2011

Ces marches urbaines collectives ont été reproduites par la suite, sans recours au dispositif de l’aveugle, trop contraignant compte tenu du mauvais état des trottoirs bahianais. Ainsi, des groupes de 2 ou 3 personnes (issues des équipes de recherches française et brésilienne) se sont immergés dans chacun des deux terrains d’étude. La connaissance des lieux était partielle pour la plupart des participants.
Au départ, l’objectif de ces marches urbaines collectives était de s’imprégner des ambiances des lieux et d’observer les manières d’y vivre et d’y coexister. Le recours à la photographie, au croquis, à l’écriture, à la prise de son ou de vue était laissé libre. Il s’agissait de tester l’hypothèse méthodologique selon laquelle l’espace permet des types de saisies particulières des ambiances et des degrés différenciés d’imprégnation.

Photos 3, 4, 5, 6. Marche urbaine collective à Porto da Barra :
rappel des consignes, marche, restitution in situ par groupe. Juillet 2011.

Toutes ont été suivies immédiatement d’un temps de restitution et de partage d’expérience avec l’ensemble des participants (environ 25 personnes réparties en 5 groupes). Ce temps était enregistré et pouvait donner lieu à quelques photos. Le groupe consignait également sur un support d’écriture des mots, métaphores, expressions remarquables, dessins… susceptibles de décrire les ambiances. Des objets ou autres éléments matériels pouvaient être joints à cette description. La répétition de l’expérience permettait aux participants de « prendre corps », chaque parcours semblant modifier les postures, les allures, les manières de se croiser, de s’éviter, de poser le pied sur le sol souvent déformé, de laisser flotter son attention tout en apprenant à rester vigilant, de s’immerger dans des sons d’abord éprouvants puis peu à peu décryptés… Les reconstitutions des marches, par chaque groupe, avec enregistrement et consignation d’éléments remarquables, étaient également répétées.
À l’issue de chaque marche collective, un temps collectif de « retour et de partage d’expérience » était organisé. Les échanges et débats étaient enregistrés. Ces séances de « retour et de partage d’expérience » permettait la constitution d’un compte rendu collectif d’expériences sensibles plurielles. Ce compte rendu, riche de plusieurs voix et voies de réflexion, s’est épaissit à chaque séance. Il constitue – avec les photos, vidéos et sons – le corpus central de notre recherche.

Photos 7 et 8. Restitution des groupes suite à une marche urbaine collective. Juillet 2011.

Les marches urbaines informées

Soucieux de comprendre comment les habitants et les usagers des lieux appréhendaient au quotidien leur expérience de la marche dans Praça da Piedade et Porto do Barra, l’équipe a également mis en place un protocole d’enquête nommé « marche urbaine informée ».

Ces marches informées ont consisté en des micro-parcours sur les sites, réalisés en compagnie d’usagers (habitants ou pas du lieu). Ces micro-parcours étaient enregistrés à l’aide d’un dictaphone et d’un micro-cravate. Il s’agissait – sur la base d’un entretien assez libre - de comprendre les motivations d’un déplacement à pied dans ces deux lieux, les codes et les tactiques nécessaires à la gestion des coprésences dans un environnement parfois hostile et souvent populeux, leur perception de l’ambiance des lieux. Ces marches informées – prises en charge par les étudiants de l’atelier 5 en raison d’une maîtrise de la langue que nous n’avions pas - étaient soient programmées à l’avance (prise de rendez-vous), soient avaient lieu spontanément in situ. 23 marches informées (17 à Praça da Piedade et 6 à Porto do Barra) ont ainsi été conduites en juillet 2011 par les étudiants, puis retranscrites en portugais et traduites en français (par Maria Isabel Menezes da Rocha et Eliezer Rolim Filho). Cette expérience de recueil de la parole habitante/ usagère n’a pas été renouvelée sous cette forme les années suivantes, pour des raisons diverses : une difficulté d’interaction du fait d’une méconnaissance des codes sociaux ; une maîtrise insuffisante de la langue qui, nécessitant le passage par la traduction du brésilien au français, nous faisait perdre une spontanéité nécessaire dans l’exercice ; un temps d’accompagnement et de formation des étudiants de l’atelier 5 à ces techniques d’enquête trop long au regard de nos temps d’immersion sur le terrain.


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Enquêter // Observer et décrire

Autoethnographie / Panoptique / Récurrence

Cartographies sensibles

Panoptiques Gare du Nord / St Pancras

Autour du vieux cimetière de Poblenou

Adapter les parcours commentés

Autoethnographie / Panoptique / Récurrence

Chaque journée de terrain a été suivie de moments de ressaisissements, de discussion. Ces moments de débat ont été l'occasion pour chaque membre de l'équipe de présenter ses productions aux autres, et a surtout été l'occasion d'échanger sur nos perceptions et sentiments relatifs au terrain et à la thématique enquêtée. Un des enjeux sous-jacents à cette méthode faisant usage de la discussion au sein de l'équipe vise le dépassement d'une documentation phénoménale des ambiances observables pour atteindre ce qu'elles nous « faisaient », autrement dit, comment elles ont touché les corps des chercheur-e-s les éprouvant. Les discussions ont été instrumentées par l'usage de post-it colorés, lesquels étaient disposés sur une table sans hiérarchie particulière. Nous disposions de trois couleurs de post-it, renvoyant chacune à un thème : auto-ethnographie, panoptique, et récurrence/réactivation. Ces trois thèmes ont en effet émergé comme étant centraux dans le terrain que nous étions en train d'observer, qu'ils concernent la démarche de l'équipe ou les qualités du site. Ensuite, chacun des membres de l'équipe a écrit sur différents post-it les idées résonnant avec ces thèmes, puis nous avons organisé les idées les unes à côté des autres, placées, déplacées, afin de trouver des correspondances, des pistes inexplorées, des thèmes à développer, au plan bibliographique comme à celui du terrain, etc. L'ensemble de cette construction a été conservé.

In fine, l'enjeu de cette instrumentation par les post-it tient moins en la production d'un résultat directement exploitable, qu'en la réalisation – à l'aide d'une méthode fondée sur un processus de création, et donc ni de documentation, ni d'observation – d'un processus productif de recherche nous permettant à la fois de partager au mieux nos impressions sur le terrain et sentiments par rapport aux suites à donner aux investigations.

Adapter le parcours commenté à la redoma de Petare (Caracas)

Le protocole mis en œuvre en juillet 2012 à la Redoma de Petare est en partie issu des contraintes du terrain et du contexte local :

  • la complexité du lieu en fait un terrain difficile à étudier (complexité de l'espace, multitude des activités et des flux, arrière-plan politique et social...) ;
  • la durée limitée à une semaine sur place nous a contraints à nous immerger dans le travail de terrain sans repérages préalables ;
  • la réputation d'insécurité de la redoma nous a imposé de nous rendre in-situ accompagnés (collègues caraquéniens, employé de la mairie).

La question de l'insécurité a aussi été intégrée dans le protocole initialement imaginé :

  • des parcours auto-commentés , centrés sur la perception des ambiances et leur description, devaient aussi dans ce contexte nous permettre d'éviter, par une mise en mouvement permanente, de nous rendre vulnérables dans l'espace public ;
  • en complément, des observations étaient conçues comme un moyen de décrire plus finement le contexte, l'espace, les situations d'interaction sociales ; ces observations devaient pour cela être réalisées à partir de lieux fixes, à la fois moins immersifs (plus en surplomb) et protégés du regard des passants.

De tels lieux d'observation n'ont pu être trouvés dans le temps imparti, et les parcours commentés se sont tout de suite révélés être un protocole peu opérant pour ce site : la multitude des éléments de tous ordres perçus au fil du parcours s'avéraient impossibles à décrire instantanément, le pas et la perception se faisaient plus rapides que la parole.

Nous avons ainsi adapté notre protocole :

  • le principe du parcours a été conservé (parcours récurrents en boucle, d'environ une heure, effectués en différents moments de la semaine et de la journée, à travers une pluralité d'espaces (lieux de transports, avenues, marchés couverts…) témoignant d'emblée des continuités et contrastes (spatiaux, d'ambiances) du site.
  • contrairement à la technique des parcours commentés qui mobilise simultanément les trois activités de marcher, percevoir et décrire, nos « comptes rendus de perception en mouvement » n'ont pas été faits en marchant mais a posteriori ; sur la base du souvenir, chaque parcours a été consigné le jour même en un récit individuel ;
  • en complément, pour qualifier l'environnement et en garder trace, des photographies ("à la volée", voire à la sauvette) et des prises de sons ont été réalisées.

Trois corpus associés

Trois corpus de matériaux sont donc issus de chaque parcours : compte-rendu écrits, photographies de rue et bande-son.

Les comptes-rendus écrits prennent la forme de récits factuels des parcours, filtrés par notre perception et notre souvenir. Ils croisent la description d'éléments de contexte sur le déroulement de chaque parcours et celle des manières dont nous avons nous-mêmes été affectés par le lieu.

Au-delà de la description des odeurs, des sons, des sensations tactiles et kinesthésiques, ces récits permettent de qualifier les ambiances éprouvées en marchant à travers la description de :

  • différentes séquences de parcours (temporelles, spatiales, d'ambiances) ;
  • nos actions dans les espaces traversés (longer, traverser, s'engouffrer) ;
  • ce qui se passe, émerge (événements, moments critiques), revient d'un parcours à l'autre, nous arrive, échappe à notre compréhension... ;
  • la circulation, de la foule, des commerces et des étals, de la conduite des passants, du comportement des commerçants, des interactions sociales ;
  • nos impressions, sentiments, états d'âme, humeurs ;
  • notre attitude (individuelle et au sein du groupe de chercheurs en marche), de nos formes d'attention et d'engagement dans les situations.

Les photographies de rue jouent d'abord le rôle d'un bloc-notes qui documente nos parcours ; pour la plupart prises à la sauvette, quand nous l'estimions possible, elles n'offrent pas un panorama complet des parcours. Elles fournissent toutefois des repères auxquels se référer a posteriori, lors de l'analyse (pour mieux identifier une séquence, se remémorer un événement…). Bien que figeant un instant précis, elles peuvent aussi être analysées en elles-mêmes, en particulier pour décrire des scènes d'interactions sociales. Enfin, sélectionnées, elles expriment assez explicitement les ambiances hyperesthésiques des lieux.

Les bandes sons sont d'abord la trace des ambiances sonores de chaque parcours, elles peuvent jouer le même rôle ponctuel de documentation que les photographies. Pour autant, ce qui fait sens dans leur écoute a posteriori apparaît parfois différent de ce qui a été perçu sur le moment, en situation, à partir d'autres modalités sensorielles (perception visuelle, olfactive…) ; tout en pouvant être mises en dialogue avec les récits écrits, elles présentent l'intérêt de décentrer le vécu exprimé dans ces récits. Ces enregistrements tendent ainsi à constituer une matière autonome par rapport aux deux autres corpus, dont l'analyse spécifique a permis de contribuer à qualifier les ambiances labiles du point de vue sonore : en termes de variations par rapport aux configurations spatiales traversées ; en termes d'effets (hyperesthésie liée à la superposition ou au mixage des sources - circulation, voix, musique -, effets de métabole et de reconfiguration parfois très rapides entre les différents "plans" sonores).

Enquêter // Enregistrer

Time lapse

Partage du sensible et captation vidéo

Enregistrer et classer les ambiances sonores

Filmer à la sauvette

Time-lapse à St Pancras International et Gare du Nord

There is an apparent choreographing of the people moving through the station spaces which encourages a smoothness of flow, a holding of people in certain spaces as certain times, and so an avoidance of crowding (where visibility may be reduced and in turn illicit activities such as pick-pocketing taking place). This becomes evident when looking at the time-lapse taken of the Midlands trains platforms. Here clear patterns or cycles form, with gathering to the left in front of the entry ticket gates and, once the disembarking passengers have moved through, this group being let through and the crowd dispersing. Equally, when it came to observing the underground entrance into the station, it was interesting how people rarely lingered or were stationary at this access point. People seemed to move relatively deliberately into/out of and through this point with limited congestion. This might be a product of the people taking this route routinely (so there's no need to stop) but equally could be a product of the view of signs, timetables, departure boards etc. provided by the accent up the escalator or the need to move away from there to actually be able to see them clearly. There was also no apparent central, congested area where people would all stand and wait. Again, there is potentially security produced in the smoothness of flow, not just in terms of crime, but also in terms of health and safety.

St Pancras International

Plateforme des trains en direction des Midlands Hall principal

Gare du Nord

Hall principal en surplombs Hall principal au sol

Enregistrer et classer les ambiances sonores

Les enregistrements in situ des ambiances sonores présentés pour Poblenou et La Défense ont été réalisés avec le même microphone (RodeNT4) et appareil d'enregistrement (ZH4) et réglés au même niveau sonore d'entrée, les originaux sont au format Wav, 24 bit, 48 Khz.

Ce sont des traces de la vie et des espaces qui sont ici représentées pour leur valeur remarquable dans le quotidien des quartiers abordés. Une centaine de fragments on été relevés, une trentaine sont ici retenus.

Ils sont sélectionnés, soit parce qu'ils marquent l'ambiance d'un lieu, soit parce qu'ils rendent compte d'une modification particulière dans le cheminement du passant.

Deux types de fragments sont représentés :

  • En point fixe : il s'agit de saisir un lieu pour évaluer les équilibres sonores et les marqueurs notables. Une mesure du Leq (niveau sonore équivalent) a pu être effectuée en parallèle de l'enregistrement pour évaluer. Le symbole du haut parleur indique le lieu d'enregistrement sur la carte.
  • En dynamique : il s'agit de parcours ou de suivi de passants à distance afin d'expérimenter les phénomènes semblables. Ils sont indiqués par les pointillées en rouge sur la carte. Le symbole du haut parleur indique le point de départ du parcours effectué.

Les 3 cartes suivantes permettent d'entendre ces enregistrements (réduits au format MP3 pour internet, ils sont donc de moins bonne qualité que les originaux au format Wav). Certains commentaires du preneur de son ont été laissés pour préciser les conditions d'enregistrement ou conserver des remarques sur le fait.

Enquêter // Anecdotes, imprévus, rencontres

Des investigations sous contrainte

Performances

A la recherche d'indices : le statut mouvant du chercheur-enquêteur

Débattre // Seuils

Seuils Critiques - Poblenou

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Seuils Critiques - La Défense

Descriptif auditif de ce trajet - Ecoute d'extrait :
© Collectif « Paradoxes d'Ambiances »

D'abord les pas sur le revêtement de bois, puis avec le changement de sol (passage à des dalles sur plots), ils disparaissent, le fond sonore est constitué d'oiseaux lointains, d'une “brume sonore” indifférenciée composée du fond urbain, d'un avion et de quelques cris réverbérés lointains, au fur et à mesure que l'on monte les escaliers de l'arche côté ouest, le son routier semble monter aussi, des chocs entre câbles des ascenseurs produisent des sons étranges lorsqu'on parvient au “sommet”, puis petit à petit émergent des voix et la composition se modifie graduellement, l'articulation se fait en douceur, d'abord réverbérées les voix forment petit à petit une enveloppe de plus en plus immergente, le fond initial est absorbé dans cette enveloppe vocale de proximité, le lointain disparaît.

Les marches de l'arche offrent une position de surplomb et de retrait plus ou moins important selon le degré de hauteur par rapport au sol de l'esplanade. Le seuil haut des marches est à ce titre plus efficace mettant le passant en positon de spectateur - écouteur un peu en retrait du monde du bas.

A hauteur équivalente, la différence d'ambiance entre le côté esplanade et le côté cimetière est nette. Les conditions climatiques, visuelles et sonores ne sont pas symétriques alors que l'espace est géométriquement symétrique.

Paradoxalement, l'assise qui se situe directement au contact de la structure (métallique) et du sol (bois) fait ressentir les vibrations de la marche des passants, autrement dit la mise à distance latérale se transforme en mise en contact vibratoire discrète.

Ces effets micro sensoriels mettent en jeu les niveaux d'éveil de la sensibilité qu'elle soit visuelle, sonore ou vibratoire, kinésique ou aérothermique. Ce sont des éléments susceptibles de marquer des différences parfois subtiles mais bien présentes. Ces éléments de “second plan” peuvent en même temps venir au premier plan et “réveiller” la perception et l'action ou encore former des énigmes ou des paradoxes sensibles (de localisation, de concordance entre sens).
Cette mise en jeu des seuils de perception dans les aménagements et les matières contemporaines sont-ils le signe d'une “nouvelle” sensibilité ?

© Collectif « Paradoxes d'Ambiances »

Seuils critiques

Le questionnement de départ de l'axe 4 de recherche explore la valeur de la notion de seuil dans l'espace contemporain. Par définition, un seuil est quelque chose qui se franchit ou que l'on ne doit pas franchir. La notion concerne aussi le niveau minimal de détection d'un changement quantitatif ou qualitatif dans la perception.

La notion de seuil présente un très grand intérêt car elle interpelle à la fois la mobilité (franchissement d'interfaces) et la stase (se tenir aux limites, entre deux milieux), elle désigne à la fois le passage et la séparation. La notion de seuil est donc abordée au double sens qu'elle porte : pièce intermédiaire, parfois secondaire, située entre deux milieux au sens spatial et matériel et basculement de perception.
Pour plus de détail sur les enjeux et références voir : http://lambiophil.hypotheses.org/468

Seuil spatial et ambiance

Alors que la notion de seuil, prise sous l'angle de l'espace et de l'aménagement, est essentiellement définie comme lieu de mise en relation entre deux entités spatiales, nous l'interrogeons donc aussi en termes d'ambiance. Comment des différenciations spatiales, temporelles et sociales sont-elles établies et opèrent –elles dans des stratégies d'usage et les relations affectives aux lieux au regard d'une ville essentiellement pensée comme mobile et fluide ? L'observation et l'analyse des dimensions sonores, lumineuses, kinésiques, climatiques et sociales (usages rituels et ordinaires) mettant en jeu la sensibilité de seuils nourrissent une critique qualitative de la ville et de l'architecture contemporaines.

La notion de seuil est un des enjeux majeurs des ambiances architecturales et urbaines car elle renferme certaines mesures de mises à distance et de modération des relations entre des régimes d'usage qui coexistent. Par son statut ambivalent, parfois ambigu, le seuil est en terme d'ambiances souvent porteur de paradoxes (cf. texte sur les paradoxes d'ambiances sur ce site), en rendant compte d'un monde dual, voire multiple ou indécidable. Montrer comment l'expérience mobile urbaine se profile à travers ces seuils d'ambiance, nous amène à interroger les intervalles possibles dans une ville qui se veut de plus en plus mobile et apparemment ouverte au monde, cosmopolite, mais tendant à une certaine uniformisation d'apparence.

A partir des observations in situ, plusieurs éléments permettent de distinguer des configurations de seuils urbains et nous montrent différents niveaux de définition et de sensibilisation en fonction des dispositifs spatiaux, de phénomènes ambiants et des usages des espaces publics.

On s'est intéressé particulièrement au voisinage des cimetières dans les deux sites (La Défense et Poblenou) et à leur cohabitation avec les espaces limitrophes, mais aussi à des espaces plus éloignés, pour tenter de comprendre ces situations et afin de dégager des éléments de travail concernant leurs qualités et potentialités d'usage.

Quelques exemples sont présentés ici afin d'approcher les seuils soit en tant qu'articulation de la mobilité (franchissements, différenciation), soit en tant que limite ou lieu de dualité (appropriation, lieu de réserve ou de mise à distance). Pour en savoir plus consulter le blog lambiohpil.

Débattre // Détournements

Petits détournements d’usage - Poblenou

Pratiques décalées et détournements d'objets urbains

Au seuil de l'usage

Les lieux, de par leur agencement, leur forme, leurs matériaux, les détails de leur mobilier, constituent pour certains publics (des enfants, des randonneurs, des skateurs, des amateurs de sport extrême) des déclencheurs d'actions « hors-normes », qui dépassent les seuils d'usages standards, allant parfois jusqu'à une véritable prise de risque.

Ces pratiques décalées révèlent à la fois l'ambivalence du statut de ces espaces et le glissement progressif de sens entre :

  • « espaces publics » pouvant contenir des conduites anonymes mais où l'usage commun fait la règle

  • et « espaces des publics » où certaines pratiques jadis confinées dans l'enceinte du privé s'extériorisent jusqu'à une mise en scène de soi qui révèle la potentielle dimension spectaculaire des lieux – ou bien celle-ci y était-elle déjà inscrite ?

Débattre // Mouvement(s)

Les états de corps du piéton

Corps décors, quand les mouvements font ambiance

Ambiances hyperesthésiques

6 états de corps à Porto da Barra et Praça da Piedade

Etat de sublimation

A Barra, les contrastes de couleur, leur prégnance comme l'esthétisme de la lumière et des sons, qui rendent le piéton particulièrement perméable aux éléments naturels, au point parfois de dévier son attention et sa trajectoire. Corps et attention semblent s'orienter malgré soi vers l'horizon et la plage, comme happés par la forte présence des éléments naturels. Cet état de sublimation atteste de l'emprise de ces éléments naturels sur le piéton. Chacun ressent comme un appel irrésistible de la mer, du soleil, du sable... verbalisant parfois l'impression d'être « sous le charme » ou « enveloppé par» au point de « vouloir s'y abandonner ». Là, la force du décor naturel tend à estomper le décor urbain, à le faire passer au second plan.

Etat de sublimation à Barra : la force du décor naturel
© Collectif « Pacification des espaces publics »

C'est ainsi que certains, comme fascinés par ces éléments, font une halte plus ou moins longue, changent de trottoir ou traversent la rue pour s'absorber dans la contemplation du paysage, oubliant jusqu'à la présence même d'autrui, de la circulation, des contraintes ordinaires de la vie publique. D'autres abandonnent leurs corps aux ardeurs du soleil, se laissent envahir par une sorte de douce langueur qu'ils donnent à voir dans la nonchalance de leur posture, des formes d'indolence qui contrastent avec la normativité attendue des conduites urbaines en public. Cet état qui relève d'une quasi soumission aux éléments naturels, participe d'une rêverie, d'une introspection, d'une suspension de soi.
On pourrait penser qu'elle coupe le piéton de l'Autre. La situation est plus paradoxale. L'état de sublimation conduit le piéton à se retrancher du Monde alors même que son corps y est tout entier engagé.

Etat de mobilisation

L'état de mobilisation renvoie à la manière dont le quartier rend le piéton extrêmement captif et réactif aux diverses sollicitations, requiert de sa part une vigilance et une mobilité de tous les instants, l'expose à une saturation sensible et, pour autant, n'empêche pas la coprésence.

Praça da Piedade, Porto da Barra : mobilisation des sens et des techniques du corps.
© Collectif « Pacification des espaces publics »

Ce qui est alors en jeu, et qui transparait dans cet état, c'est le degré d'invitation du lieu à agir et le degré d'inclusion des corps en mouvement : en quoi et comment la mobilisation configure – au sein même de l'expérience sensible – des formes d'inclusion ou d'exclusion des corps qui définissent/permettent/gênent la participation au commun.

En outre à Barra comme à Piedade, au-delà de l'extrême tension et de l'hyperesthésie à laquelle doivent faire face les piétons, cet état de mobilisation s'actualise à partir de la visibilité d'un arrière-plan sécuritaire. Ainsi, à Barra, c'est dans ces moments que la police militaire est à la fois mobile et très visibles, instituant, derrière l'image d'un apparent « bazar », un encadrement et une surveillance des corps extrêmement contraignants.
À Piedade, la traversée de la place, de façon tangente ou traversante, mobilise les techniques du corps. Le travailleur en tenue de ville ou en uniforme - qui ne fait que « passer par là » - est systématiquement mobilisé sur sa trajectoire. Par rapport aux autres rues du quartier, ses pieds sont libérés des chaos des pavés portugais peu entretenus et pleins de trous ou bosses. Même le long de l'avenue Sete de Setembro où la présence des marchands ambulants est très forte, la place dédiée au cheminement est, contrairement aux autres sections de la même avenue, clairement lisible. Le déplacement est donc rapide, chacun est concentré sur le parcours à effectuer et sur les obstacles potentiels : marchands ambulants (en mouvement ou non), distributeurs de prospectus, chalands et mobiliers urbains sont autant d'obstacles à travers lesquels il faut se faufiler.

Être mobilisé, à Barra comme à Piedade, consiste alors à faire des choix de comportement au regard de ces multiples sollicitations. Par ailleurs, la présence policière forte, du fait de l'arbitraire qu'elle institue, joue sur la liberté de définir tacitement des codes communs, des gestes acceptables ou des actions tolérées en public. La possibilité de constitution et de participation au collectif est donc ici fragile.

Etat de tension

Si le collectif est célébré dans des moments d'effervescence, sa cohésion est à l'inverse mise à mal dans des moments de cassure, de rupture subite de l'ambiance.

L'état des corps est ici proche de l'excitation, d'une forme de trouble tumultueux partagé. L'odeur de la nourriture, mêlée à celle des boissons, crée une enveloppe autour de ces corps souvent peu habillés. Marcher, dans ces moments là, relève moins de la mise en jeu de techniques du corps que d'une entrée dans l'ambiance et d'une implicite communion. Il s'agit de se mettre au rythme du quartier, de se laisser pénétrer par ces odeurs et ces sons, finalement de se laisser « prendre » par l'ambiance du lieu. Dans cet état de tension, la limite entre excitation et exaspération est faible, tant le rejet ou le refoulement de ce « trop plein » peut advenir.

Etat de saturation

L'état de saturation est précisément lié à une surcharge, à un « trop plein », à une forme de remplissement des quartiers.

A Porto do Barra, c'est ce bouillonnement sourd, cette forme d'échauffement général, partagée par les habitants, palpable à chaque fin de semaine dès le début de soirée ou plus occasionnellement (les jours de match, les jours fériés ou lors d'élections). A Piedade, c'est cette surabondance sonore journalière provoquée par la multiplicité des sonorisations individuelles (diffusions musicales des marchands ambulants, harangue publicitaire ou politique) qui s'ajoute à la rumeur. C'est aussi ce remplissement visuel, fait d'une prégnance des couleurs et des textures, qui limite la projection du regard, gêne la discrimination des scènes ordinaires et, pour le piéton, aplatit l‘ensemble en une toile chamarrée.
A Barra, elle est aussi le fait de l'hyperesthésie du quartier. C'est l'odeur de la mer, de l'huile de palme frite, de la cuisine, des camions poubelles, de l'essence qui attire, écœure, fait que l'on se « remplit les poumons » ou au contraire que l'on « traverse en apnée » pour mieux se protéger. Ce sont les bruits de freins, de klaxons, les crissements de pneus, la musique tonitruante de quelques véhicules de passage ou en stationnement qui occupe l'espace, fait sursauter, sature jusqu'à empêcher l'écoute, la discussion à plusieurs, la concentration nécessaire au bon déroulement d'un parcours. Ce sont les ardeurs du soleil, la chaleur brûlante qui accapare les corps, fait suer, freine la marche. C'est la lumière éblouissante, accrue par la surface de l'eau ou la blancheur de la balustrade, qui fait cligner les yeux, oblige à baisser la tête, aveugle au point de ne pas voir certains obstacles. Ce sont ces visages et ces corps si proches les uns les autres sur le trottoir qu'il faut ne pas toucher et suscitent des sensations parfois de malaise, voire d'étouffement ; ces sifflements et sourires accrocheurs dont il faut se défaire tout en anticipant sa conduite, cette extrême exposition de soi qu'il faut à la fois assumer et gérer. C'est cette vigilance de tous les instants qui accompagne une marche finalement chaotique, faite de détours, d'accélérations et de piétinements, d'évitements répétés, d'accrochages, de pieds qui se tordent (sur le pavé irrégulier, les trous en formation, les racines des arbres), de poids du corps qui ne cesse de se déplacer d'arrière en avant ou d'avant vers les côtés, de rotation des épaules et des hanches pour mieux se faufiler, de mouvements rapides de la main (qui porte, soulève, hèle...).

L'état de saturation expose donc le piéton à une surabondance sensible, qui peut être de l'ordre de l'excès comme de la plénitude et n'empêche pas la coprésence. Dit autrement, cet état questionne la qualité d'hospitalité du quartier (Joseph, 1997), c'est-à-dire sa capacité à accueillir, contenir et répartir dans un même espace-temps des corps en mouvement soumis à des pressions constantes et dont les objectifs, les rythmes, les « manières de marcher » diffèrent (Thomas, 2007).

Etat de vigilance

Quand la nuit tombe et que Praça da Piedade change de visage, l'état de mobilisation bascule dans une vigilance inquiète. Le désir de partir est partagé et les trajectoires passent de moins en moins par le centre de la place. Ce basculement s'opère alors que la lumière artificielle remplace celle du soleil et que la présence des habitants des rues devient plus visible, alors que celle des marchands ambulants s'estompe. Les obstacles fixes ou mobiles sont à ce moment moins nombreux. Cependant l'attention ne se relâche pas ; les yeux scrutent l'ombre. On retrouve le même basculement à Porto do Barra, mais plus graduel, au coucher du soleil, quand la clarté du jour laisse place à la nuit, quand le bruit du trafic routier se fait plus sporadique, quand l'ombre des arbres dessine de grands coins d'obscurité.

Dans ces moments d'installation dans la nuit, à Barra comme à Piedade, les quartiers s'enfoncent dans l'illégalité (vente et achat de drogue, commerce de marchandise illicite, prostitution...). Ils se domestiquent parfois puisqu'il s'agit, pour les habitants des rues, de reprendre possession du territoire pour y installer un coin pour dormir, manger, se laver. Si la surveillance et l'encadrement des corps existent toujours, ils changent de nature : plus diffus, moins palpables, ils participent parfois d'un certain malaise, d'une certaine nervosité, d'un état de trouble. Il s'agit alors pour le piéton de presser le pas pour rentrer à l'abri des grilles des habitations ou des portières de voiture, de ne plus sortir, d'éviter certaines rues... En quelque sorte, d'échapper à cet espace commun qui est occupé par certains groupes jugés inopportuns, voire malavisés. Dans cet état, le caractère désirable des lieux est questionné comme condition du partage.

Etat de vigilance inquiète à Piedade : ombre angoissante du centre de la place.
© Collectif « Pacification des espaces publics »

Nos deux terrains sont aussi soumis, sporadiquement, à des basculements dont la rapidité et les degrés d'intensité peuvent aller du simple déséquilibre à la tension. D'un état de vigilance inquiète, ils font passer le piéton à un état de vigilance intense. Ces basculements, subtils à saisir, relèvent de rupture, de passage graduel d'une ambiance à l'autre ou encore d'équilibre précaire de l'ambiance. A chaque fois, ces ruptures apparaissent à travers l'intensification des processus de pacification ou lorsque l'arrière-plan sécuritaire des quartiers est mis en défaut. C'est le déploiement inattendu et en grand nombre de patrouilles policières à pied, leur redoublement par des patrouilles motorisées ou leur soudaine visibilité qui, subitement, met les sens en alerte, engendre la crispation, fait que chacun sent peser sur soi une charge. C'est l'arrestation souvent silencieuse d'un individu ou d'un groupe par des policiers en uniforme, la présence à peine visible de policiers en civil mais armés qui créent une tension et met en mouvement, suscitant collectivement une anxiété, un malaise, une peur intense.

Pour autant, le collectif n'est pas mis à mal par ces états. La vigilance se partage. Elle rend palpable un mode de participation à l'espace de l'ordre du conflit, du dissentiment, de la mésentente.

Etat de disponibilité

A Barra, le dimanche, l'Avenida Sete de Setembro est fermée à toute circulation routière et diverses animations ponctuent l'espace de déambulation. Cet espace-temps particulier change la figure du lieu et ses modes d'habitations. C'est le lieu de la promenade dominicale de diverses classes sociales.

Chacun semble coopérer à la mise en place d'un équilibre – sans doute ténu – et nécessaire à l'existence d'un accord commun, d'une convenance sociale partagée. Il ne s'agit plus d'être en tension mais à l'inverse de laisser advenir des formes de disponibilité à l'autre, à l'environnement, aux évènements ; de se rendre libre et ouvert à des formes d'action, d'attention et d'émotion inhabituelles ; de démontrer une capacité commune aux mêmes jouissances. Outre un apaisement que beaucoup verbalise, cette disponibilité se joue à travers un espace-temps que l'on pourrait qualifier - sinon de consensuel – d'engageant.

Au milieu de ces divers groupes épars et de ces promeneurs nonchalants, la police militaire circule. Visible, elle reste toutefois discrète et se fond dans ce décor de fête. Les arrêts sont fréquents, comme les bribes de conversation échangées avec quelques groupes. Les visages sont souriants, le pas presque relâché. La présence est rassurante.

Porto da Barra, un dimanche : état de disponibilité (à gauche)
Praça da Piedade : un état de disponibilité sur les bancs (à droite)

© Collectif « Pacification des espaces publics »

Il y a dans ce moment d'harmonie, et malgré le bouillonnement qu'il comporte, comme une impression de calme retrouvé, de temps suspendu, presque de trêve. Certains après-midi d'été sur la plage vibrent de la même ambiance.

En semaine, à Piedade, quartier populaire et marchand, nombreux sont les badauds et flâneurs. Au milieu de ceux qui marchent d'un pas pressé, leurs démarches sont lentes, comme au ralenti. Les têtes s'orientent à droite et à gauche pour observer les étals, les offres des distributeurs de prospectus (publicités pour un dentiste, une radio locale, offres de téléphonie...) ou se rendre disponibles aux autres familiers du lieu. Certains séjournent et décident de profiter des assises de la grille ou des bancs du centre de la place. Á la périphérie de l'espace central, dos à la grille, installés sur les assises à l'ombre, ces observateurs du spectacle de la rue se répartissent en deux catégories. Les premiers ne sont là que pour une courte pause, par exemple téléphoner, manger rapidement... D'autres sont là au contraire pour contempler plus longuement l'animation ambiante ; ce sont souvent des retraités qui discutent entre habitués du lieu.

Les états de corps du piéton

Le potentiel politique et critique de la notion d'état des corps

La notion d'« état de corps », empruntée à Philippe Guisgand, a son origine en danse. Guisgand définit l'état de corps comme « l'ensemble des tensions et des intentions qui s'accumulent intérieurement et vibrent extérieurement » (Guisgand, 2012).

Telle qu'elle mobilise l'idée d'« empathie motrice », la notion d'état des corps porte en elle les germes d'une réflexion sur les modalités de constitution et d'existence d'un commun en termes sensibles. En cela, elle renvoie indirectement à ce que Rancière, dans une tentative d'appréhension esthétique de la politique, nomme le « partage du sensible » (Rancière, 1995 ; 2000).
Un partage du sensible fixe en même temps un commun partagé et des parts exclusives. Cette répartition des parts et des places se fonde sur un partage des espaces, des temps et des formes d'activité qui détermine la manière même dont un commun se prête à participation et dont les uns et les autres ont part à ce partage » (Rancière, 2000). La thèse de Rancière est ici particulièrement intéressante, puisqu'il ne fait pas dépendre l'existence d'un commun, et de formes de communauté, d'une quelconque symbiose entre les divers éléments en présence. Rancière préfère montrer en quoi « la mésentente » (Rancière, 1995), le conflit, la crise, l'écart, le retrait... – en tant que « modes possibles d'habitation du monde sensible » - participent de l'instauration d'une communauté. De ce point de vue, questionner la manière dont se joue le « partage du sensible » nécessite que l'on s'interroge sur la façon dont certaines pratiques – artistiques chez Rancière, urbanistiques et aménagistes dans ce travail de recherche – reconfigurent l'exercice même du sentir et de l'être ensemble.

Précisément, le détour par la notion d'état des corps – tel qu'il s'articule à un questionnement sur les tendances actuelles de l'aménagement à une pacification des espaces de la marche – permet d'aborder de manière critique cette question du partage du sensible. Ce qu'il s'agit de dévoiler à travers la description d'états des corps, c'est ce que ce type de contexte dessine/transforme/met en question en termes de co-présence, de partition et de potentialités offertes à la participation au commun. De fait, dans cet axe de recherche, et compte tenu du protocole méthodologique mis en place, « l'espace public actuel ne sera pas seulement compris comme un lieu public géré par une collectivité. Il pourra être vécu comme un moment partagé en commun faisant que ceux qui font partie de la ville peuvent la redéfinir comme projet commun ou (re)considérer leur présence en relation avec celle des autres dans un décloisonnement des mondes » (Grout, 2012). Dit autrement, les analyses mises en œuvre s'attachent à rendre intelligibles la manière dont certains espaces mettent en question l'expérience corporelle du piéton, sa présence au milieu des autres, ses manières d'habiter le monde sensible.


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« Le flux de la vie » et les indices

Ces éléments de méthodes que nous mettons en place —captations in situ (photo, son, vidéo), observations, échanges et prises de notes, mini-entretiens— se réalisent à plusieurs, le plus souvent simultanément et sur plusieurs jours. Cela donne cette contradictoire impression, d'un épuisement quasi perecquien du lieu atteint par la somme importante même si elle reste raisonnée des enregistrements et des observations et paradoxalement, la sensation que nous ne voyons pas ce qu'il y aurait à voir. Sensation métabolique où la situation est à la fois toujours changeante et en même temps toujours la même, faisant alterner les rapports figures fonds, en fonction de notre position, en fonction des mouvements et en fonction de notre intérêt, passant tour à tour d'un regard ou d'une écoute flottante à une focalisation attentive sur un élément, une personne, une situation. Suivre un cours d'action, et se laisser attraper par un autre, c'est tout autant de potentielles fictions qui s'esquissent. Situation de regard paradoxale que l'on retrouve avec la vidéosurveillance : que regarde-t-on en fait quand il est possible (ou que l'on croit possible) de tout voir ?

Cette technique d'observation et de collecte, on la retrouve dans les approches de Siegfried Kracauer, que Walter Benjamin, aimait à nommer le chiffonnier mélancolique. La photographie (comme le son ou la vidéo) est un médium « réaliste » si on le compare aux arts figuratifs, au sens où il produit un « reflet de la réalité » sans tomber dans l'illusion d'une restitution exhaustive de l'espace. La « camera-reality » disait Kracauer qui produit des fragments discontinus du réel (« Flow of life ») qui pour lui sont affectés d'un double indice « de présence et d'incomplétude ». De présence par ce qu'il reproduise, d'incomplétude, par tout le hors champ spatial, le hors champ temporel, la sélection de modalités sensorielles par le médium utilisé. Mais pour Kracauer, ces fragments discontinus constituent justement l'expérience commune que nous pouvons avoir d'une situation. Et en prolongeant pour notre recherche sans doute l'expérience commune même que l'on peut avoir des dispositifs de surveillance.

Pour Kracauer, ce travail de la subjectivité prépare les conditions de l'objectivité, condition pour fonder un discours de connaissance sur le monde de l'expérience. Et il voit naturellement dans le matériaux filmique des possibilités de montage qui rendent comptent justement de cette variété des indices et promouvant une « rédemption de la réalité » témoignage matériel du quotidien.

Cet ensemble dessiné, vidéographié photographié, écrit, etc. participe de cette constellation d'observations, qui une fois mise à plat, permet de construire tant par la pratique in situ reconduite que par la représentation des successions et des confrontations entre des choses, des personnes et des situations, là où il n'y a pas forcément de continuité naturelle si ce n'est peut-être par l'ambiance qui est tout à la fois ce qui unit et ce qui est produit.

Il y a dans cette méthode de collecte et de captation in situ avec différentes techniques et à plusieurs, quelque chose de la recherche d'indices telle qu'on le retrouve dans la micro-histoire (Ginzburg 1980, puis pour une application aux ambiances : Rodriguez 2012) ou plus classiquement avec la question policière. Paradigmes des indices, permettant de reconstituer un ensemble, une histoire, où tout au moins des questions. Une façon de mettre en regard et en débat par tout un ensemble d'indices une question plus générique, qui ici est celle des relations entre ambiances et surveillance.


Siegfried Kracauer, L'histoire des avant-dernières choses, Paris : Éd. Stock, 2006. (Éd. originale : « History. The Last Things Before The Last », New York : Éd. Oxford University Press, 1969).

Siegfried Kracauer, Théorie du film. La rédemption de la réalité matérielle, Paris : Éd. Flammarion, 2010. (Éd. originale : « Theory of Film. Redemption of Physical Reality », New York : Éd. Oxford University Press, 1960).

Carlo Ginzburg, Signes, traces, pistes. Racines d'un paradigme de l'indice, in revue « Le débat », novembre 1980, pp. 3-44.

Carolina Rodriguez Alcalá, Unité et dispersion de l'espace urbain : la coupe comme dispositif de lecture de la ville, in Nicolas Tixier et alii. « L'ambiance est dans l'air », rapport de recherche PIR VE, Grenoble : Cresson, 2012, pp. 110-123.


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© Collectif "Mobilités éprouvantes"

"La avenida es un torbellino de buses y carros y motos que tocan corneta con mucha frecuencia. Al atravesar las esquinas hay grupos de personas con conversaciones. Para caminar por esa acera y luego por las bocacalles que bajan del centro de Petare hay que estar muy atento al piso ya que hay muchos huecos, obstáculos, agua marrón en pozos, además de la mención a toda clase de vehículo que salen de cualquier lado y se mueven en cualquier dirección inesperada para el peatón. El aire es denso de polvo y olor a agua evaporada con sucio." "L'avenue est un tourbillon de bus, de voitures et de motos qui klaxonnent très fréquemment. Aux intersections, des groupes de personnes discutent. Marcher sur ce trottoir puis au débouché des rues qui descendent du centre de Petare demande d'être très attentif au sol car il y a de nombreux trous, obstacles, eaux usées stagnantes, en plus de toutes sortes de véhicules qui débouchent de tous les côtés et circulent dans n'importe quelle direction, inattendue pour le piéton. L'air est dense en poussière et odeurs d'eau sale. [récit de terrain, SG, 25.07.12, matin]

La Redoma de Petare, une figure du "trop"

Intensité, profusion, débordement... nos récits de terrain expriment le caractère foncièrement éprouvant de la Redoma de Petare, notamment lié à une circulation omniprésente à tous les sens par son intensité sonore, les odeurs d'échappement et la poussière qu'elle dégage.. Pratiquer cet espace à pied est vécu comme une « plongée » dans des ambiances où l'hyperdensité des flux, des activités et des micro-évènements soumet l'usager à une multiplicité de sollicitations sensorielles, génère une hyperesthésie.

La densité de piétons entretient une grande proximité des corps, un coude à coude, qui par moments prend la forme d'une foule si compacte qu'elle empêche d'avancer ou de voir au devant ; l'encombrement des trottoirs réduit le cheminement à de très étroits passages entre les étals ou les charriots de vente ambulante et impose parfois de marcher sur la chaussée, au risque de la circulation. Se faire piéton de la Redoma c'est ainsi enjamber, contourner, se faufiler, piétiner, accélérer et ainsi entretenir une relation à l'environnement largement conditionnée par le rythme du pas et ses ajustements.

La marche, en conjuguant la dynamique de l'espace et du temps, met les perceptions en relation les unes avec les autres, souvent de manière simultanée ; elle semble exacerber la multisensorialité par laquelle s'exprime de manière très récurrente la perception des lieux dans nos récits : "On peut aisément sentir, à certains moments, les parfums des piétons alors même que le marché explose d'odeurs extrêmement variées. Les odeurs ont d'ailleurs l'air de fonctionner avec les couleurs : multitude et diversité." [récit de terrain, JD, 23.07.12]

La Redoma se dessine comme une figure du « trop », où on ne sait régulièrement plus où donner de la tête, immergés dans un mouvement permanent « de gens, de boutiques, de vendeurs et de véhicules qui se mélangent au son des klaxons, de la musique colombienne, des cris des vendeurs et des conversations » [récit de terrain, SG, 25.07.12, matin]. Plus qu'une atmosphère - dont le sens courant évoque la légèreté et l'évanescence -, cette hyperesthésie se présente comme un véritable climat, structurellement présent.

Fragments sonores en marchant le long des trottoirs

Le long des trottoirs, l'hyperesthésie naît en particulier de la juxtaposition de la circulation et du commerce.

Les bruits mécaniques de la circulation (accélérations, décélérations ou ronronnements de moteurs, crissements de freins, soufflets des portières de bus, klaxons de bus, motos, camions...), les voix des passants et des vendeurs (amplifiées ou non), les musiques diffusées par les commerces (toujours amplifiées) et les sons d'outils ou d'objets liés à l'activité de la rue (frottements, chocs...) se distribuent en trois plans sonores perceptibles sur les enregistrements sonores de nos parcours : au premier plan, les émergences qui se détachent nettement, par leur intensité et/ou leur proximité ; en fond sonore, la rumeur, le brouhaha qui colorent l'ambiance ; au deuxième plan, des émergences plus distantes (par exemple un klaxon au loin) qui, comme des "bulles" se distinguent du fond sonore sans parvenir à "percer" le premier plan. Ces différents plans se reconfigurent parfois très rapidement. Selon les moments et les séquences de parcours, alternent ainsi les ambiances sonores dominées par les bruits de la circulation et celles dominées par le marché.

Dominante circulation : les images du rugissement ou du tumulte (où les klaxons apparaissent comme un mode de communication) par lesquels nos récits évoquent la circulation se retrouvent dans les enregistrements sonores lorsque celle-ci constitue un premier plan très prégnant, où les bruits mécaniques, les klaxons et les effets de masque créés par certains véhicules sur leur passage ne laissent échapper les sons du marché, en arrière-plan, que dans les moments d'accalmie. Ces sons de la circulation sont assez bien latéralisés, sauf lorsqu'ils se conjuguent simultanément : l'espace semble alors perdre sa forme.

Dominante marché : ces ambiances se caractérisent notamment par les surgissements de voix liés à la grande proximité des corps (bribes de conversations témoignant de scènes d'interactions focalisées) ; l'ambiance sonore typique du marché est également présente au second plan et en fond sonore, où se mêlent une rumeur de voix et de bruits de la circulation. Si dans certains cas la circulation reste perceptible en arrière-plan (klaxons, changements de régimes moteurs...), dans d'autres, elle s'efface sans pouvoir percer le monde du marché. Les musiques ont tendance à s'enchaîner et ou s'arrêter brusquement ; on passe donc selon les moments d'ambiances colorées par les musiques à des ambiances dominées par les voix.

A l'écart de la rue

Marcher ne serait-ce qu'une heure à travers la Redoma demande des efforts, de faire face à l'accablement lié à la chaleur. Rares sont les moments « en creux », où l'espace se dégage, où le bruit du trafic s'estompe et où les sens sont au repos : moments fugaces d'entre-deux, ni dans la circulation ni dans le marché, évoqués sous les termes d'accalmies, de bouffées d'oxygène, d'ambiances plus tempérées, qui correspondent en particulier aux séquences de parcours à l'arrière des avenues, dans les espaces commerçants couverts, et aux temporalités du matin, quand l'heure de pointe de la circulation est passée mais que tous les commerces ne sont pas ouverts. L'ambiance sonore est moins intense, les sons lointains plus feutrés, les voix et les musiques moins fortes, les émergences moins agressives.

L'arrivée à la Redoma de Petare par le métro, avec son expérience relativement codifiée du transport, donne par contraste le sentiment étourdissant de pénétrer dans un monde en soi, sentiment lié au peu de perspectives offertes au regard, à l'immersion dans la foule, au dédale des marchés, au cheminement serré entre les parasols, au mélange des odeurs et des sons...

Si l'ambiance de la Redoma à la surface se fait entendre dès le souterrain en arrière-plan, la remontée de la trémie, où l'effet de réverbération du souterrain s'atténue, donne d'abord la sensation est qu'on se rapproche progressivement du marché ; on bascule ensuite très rapidement dans l'ambiance sonore du marché, dès lors que des voix de vendeurs et des musiques passent au premier plan.

Débattre // Cohabitation

D'un monument à d'autres...

Cohabitations douces

Le terrain à l'épreuve de l'étrangeté

Le protocole mis en œuvre à la Redoma de Petare relève d'une approche ethnographique en ce sens qu'il mobilise l'immersion et une posture engagée du chercheur sur le terrain ; il s'en distingue dans la mesure où l'enquête ethnographique s'inscrit dans une longue durée et implique une socialisation minimale avec le milieu d'enquête - comme condition d'accès à la connaissance de ce milieu -.

Une expérience extra-ordinaire de la mobilité ordinaire

Dans notre cas, l'immersion sur le terrain s'apparente davantage à une expérience : se faire, une semaine durant, passants récurrents d'un lieu inconnu. Des passants usagers de la rue et des transports d'une grande ville aux mobilités particulièrement complexes et éprouvantes ; des passants ni flâneurs ni habitants pressés, engagés corporellement et perceptivement mais n'ayant pas d'autre raison d'être là que pour une enquête ; des citadins paradoxalement au travail donc, sans pourtant être pris dans les contraintes de la vie quotidienne et des déplacements pendulaires ; des chercheurs-marcheurs se déplaçant à plusieurs, accompagnés ; des piétons vulnérables enfin, aux aguets et inquiets de devoir pratiquer un lieu réputé dangereux sans en connaître la réalité ni les codes.

Le fait d'avoir des difficultés à se repérer dans un espace peu familier, de ne pas parler la langue ou de ne pas toujours la comprendre, d'être accompagnés, de marcher en groupe, d'apparaître d'emblée comme étrangers (par notre couleur de peau, notre façon de nous habiller ou de marcher) et d'être ainsi surexposés au regard d'autrui, éprouver l'"exotisme" de la découverte d'un lieu populaire aux ambiances intenses... par tous ces facteurs, notre étrangeté a en effet créé des conditions particulières à l'appréhension de la Redoma, tant corporelles qu'attentionnelles, cognitives ou émotionnelles...

La fonction heuristique du dépaysement

L'expérience du dépaysement peut être pris ici comme un mode de connaissance particulier qui met à l'épreuve notre rapport à l'ordinaire. Prédisposant à un déplacement (qui n'est pas forcément géographique), à un changement de point de vue sur "ce qui va de soi", le dépaysement engage des formes spécifiques de présence aux autres, une capacité à se montrer plus attentif aussi bien aux moments critiques qu'indéterminés et, de manière plus générale, à rendre plus prégnants des phénomènes et des perceptions devenues routinières pour des usagers plus familiers.1

Dans quelle mesure notre posture d'étranger permet-elle alors de faire émerger ou d'exacerber les ambiances de la mobilité labile ?

Nos récits de terrain parlent beaucoup de la modalisation de notre engagement 2 et de nos formes d'attention : se concentrer, essayer de comprendre, ou au contraire se laisser porter, s'abstraire du contexte, penser à autre chose... chaque parcours amène ainsi constamment à passer d'un registre d'attention à l'autre, à basculer d'une posture d'observation - et d'extériorité à l'action - à une immersion sensorielle, à être dedans et dehors, au sens propre comme au figuré.

Jamais usagers ordinaires du lieu, les positions que chacun de nous adopte au fil des parcours varie : dans les moments où nous nous sentons simples piétons accablés par le soleil ou la foule le registre des sensations et des émotions domine ; à d'autres, le regard de l'enquêteur -et donc de l'observateur- reprend le dessus, engageant un rapport davantage cognitif à ce qui nous entoure ; entre les deux, nous nous décrivons aussi sous la figure du passant sensible aux interactions aperçues en marchant (et c'est sans doute là que l'étrangeté est la plus repérable), ou sous celle de l'usager des transports mi-engagé mi-observateur.

En mobilisant une attention exacerbée en même temps qu'une disponibilité à se laisser surprendre ou déstabiliser, notre expérience de la Redoma en marchant renvoie, plus qu'à la connaissance des ambiances ou des usages du lieu en soi, aux manières dont nous avons été nous-mêmes affectés par le terrain.


1 Cf. Sandra Fiori, Nathalie Simonnot. « Esthétique ordinaire et formes de vie urbaine ». Synthèse de la 2eme journée du séminaire " Ambiances urbaines en partage : expériences du dépaysement ", Grenoble, 30 avril 2009. En ligne : http://www.ambiances.net/seminars/lyon-grenoble-paris-2009-experience-du-depaysement.html

2 "Le déterminisme à l'œuvre est un déterminisme situationnel qui tient à la capacité à moduler ou « modaliser » ses engagements (distraction, évitement, indifférence civile, « réserves sûres », conversation), autrement dit à les focaliser en jouant des prises et des plis du milieu de visibilité et d'observabilité réciproque." Isaac Joseph, « Les compétences de rassemblement », Enquête, La ville des sciences sociales, 1996, [En ligne], mis en ligne le 6 novembre 2008. URL : http://enquete.revues.org/document773.html. Consulté le 12 mai 2013.


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Débattre // Vigilance

Le passage d'un urbanisme de l'intervention
à celui du renseignement

Ambiance sous surveillance :
deux points de vue

Vigilance et arrière-plan insécuritaire

Vigilance ordinaire à Caracas

Co-veillance, retrait :
la dalle et le labyrinthe de connexions

Le passage d'un urbanisme de l'intervention à celui du renseignement

© Collectif « Surveillance(s) en public »

Paul Landauer est architecte. Il analyse depuis plusieurs années l'évolution des dispositifs de sécurité dans les espaces et bâtiments publics. Ses conclusions (Landauer 2009) sont pour nous intéressantes. Il fait, avec d'autres, le constat que « la protection des lieux s'estompe au profit de la gestion des déplacements ». En d'autres termes, que les dispositifs de sécurité sont de plus en plus conçus pour pouvoir veiller et gérer en temps réel le bon écoulement des flux (place publique, stade, gare, aéroport, etc.) beaucoup plus que d'être un dispositif de surveillance pour la sécurité des individus ou pour contrôler ce qui viendrait de l'extérieur. Les dispositifs de sécurité ne cherchent plus forcément à former un panoptique (dispositif qui vise à la surveillance totale), mais plutôt selon l'expression de Bruno Latour (2006) un oligoptique : bien voir au bon moment ce qui doit être vu. « Il ne s'agit plus de tout voir tout le temps mais de bien voir et, quand c'est nécessaire, quelques lieux stratégiques » (Landauer, 2009 p. 37). On comprend alors que ce qui devient indispensable, c'est la remontée sélective d'informations du terrain qui permet d'agir sans à avoir à tout observer, à tout contrôler. « Les postes centraux de commandement deviennent à la fois des centres d'information et des unités d'injonction. Ils contribuent tout à la fois à l'analyse des situations, à la définition des mesures préventives et à l'élaboration des modalités d'intervention » (Landauer, 2009 p. 23). On serait passé d'un urbanisme de l'intervention à celui du renseignement.

Laurent Devisme dans un court article (2007) commentant le travail de Bruno Latour nous invite à regarder les oligoptiques, non pas comme des éléments de contrôle, mais bien comme une condition de possibilité pour penser l'urbain contemporain en cours, en ne cherchant plus à saisir le tout uniquement grâce à des panoramas organisateurs et explicatifs, mais par des focales, permettant la saisie vive d'un local qui nous renseigne et dialogue avec un global, en nous révélant les acteurs et les actants qui sont à l'œuvre et surtout en situation.


Paul Landauer, « L'architecte, la ville et la sécurité », Paris : Éd. PUF collection La ville en débat, 2009.

Bruno Latour, « Changer de société, refaire de la sociologie », Paris : Éd. La Découverte, 2006.

Laurent Devisme, "Oligoptique (alias traceur).", EspacesTemps.net, Dans l'air, 23.07.2007. http://www.espacestemps.net/articles/oligoptique-alias-traceur

Ambiance sous surveillance : deux points de vue

Ce texte revient sur la construction de la vidéo intitulée Panoptique Gare Du Nord de la section Observer et décrire, réalisée dans le contexte d'un questionnement sur l'ambiance d'un espace sous surveillance, et interroge particulièrement la question des points de vue choisis pour construire cette représentation vidéographique de la gare. Celle-ci a été fabriquée à partir de quatre enregistrements réalisés au même moment, mais selon des points de vue différents. Ces enregistrements ont été synchronisés et accolés au montage afin de constituer un film multi-écran : l'image montée du film est divisée en quatre sous-écrans d'égales proportions.

Photogramme issu du film Panoptique Gare Du Nord à 2 min. et 39 sec
© Collectif « Surveillance(s) en public »

Dans un film, le rapport à l'espace et aux corps filmés passe notamment par la construction de points de vue. Le point de vue est d'abord le point situé dans l'espace depuis lequel on décide de regarder et écouter le monde enregistré par la caméra. Mais la portée du point de vue ne s'arrête pas là : il exprime aussi un certain rapport au monde.

En juxtaposant deux points de vue surplombants (sous-écrans en haut à gauche et en bas à droite) et deux points de vue engagés au sol (en bas à gauche et en haut à droite), nous souhaitions dans un même film combiner deux rapports au monde : celui de l'opérateur de la surveillance et celui de l'usager ordinaire d'un espace sous surveillance.

D'un côté, la réalité filmée est tenue à distance et considérée comme un objet extérieur qu'il nous faut saisir, capter, appréhender par l'enregistrement filmique. De l'autre, la situation dans laquelle le filmant est engagé et l'enregistrement sont vus comme le moment d'une possible création collective, le film ne venant alors plus saisir, mais parfois faisant advenir – engendrant notamment des réactions profilmiques (De France, 2006).

Ce caractère duel du point de vue est exprimé chez Michel De Certeau dans un texte dédié aux pratiques d'espace. Dans un chapitre intitulé « Marches dans la ville » (De Certeau, 1980), Michel De Certeau distingue deux figures, celle du voyeur et celle du marcheur, qui perçoivent la ville à partir de points de vue différents et en développent des rapports spécifiques. Michel De Certeau appuie son propos sur la description de deux manières possibles de regarder Manhattan. La première consiste à regarder la ville depuis le sommet d'un gratte-ciel. Ce point de vue, celui d'un regard d'en haut, permet de « "voir l'ensemble", de surplomber, de totaliser le plus démesuré des textes humains » (Ibid. 140). C'est dans ce déplacement au sommet de la ville que s'incarne la figure du voyeur : « Celui qui monte là-haut sort de la masse qui emporte et brasse en elle-même toute identité d'auteurs ou de spectateurs. Icare au-dessus de ces eaux, il peut ignorer les ruses de Dédale en des labyrinthes mobiles et sans fin. Son élévation le transfigure en voyeur. Elle le met à distance. Elle mue en un texte qu'on a devant soi, sous les yeux, le monde qui ensorcelait et dont on était "possédé". Elle permet de le lire, d'être un Œil solaire, un regard de dieu. Exaltation d'une pulsion scopique et gnosique. N'être que ce point voyant, c'est la fiction du savoir » (Ibid. 140). Selon Michel De Certeau, ce point de vue surplombant – qui n'est pas récent, puisque les représentations de la ville vue d'en haut existent déjà dans les peintures médiévales et de la Renaissance – autorise un regard totalisant qui permet de penser et de planifier la ville, tout en se détachant dans le même temps des pratiques de l'espace urbain : « C'est l'analogue du fac-similé que produisent, par une projection qui est une sorte de mise à distance, l'aménageur de l'espace, l'urbaniste ou le cartographe. La ville-panorama est un simulacre "théorique" (c'est-à-dire visuel), en somme un tableau, qui a pour condition de possibilité un oubli et une méconnaissance des pratiques » (Ibid. 141).

À l'inverse de la figure du voyeur qui, en adoptant un point de vue surplombant, comprend, projette, et dans le contexte de notre recherche, surveille la ville et son bon fonctionnement (cf : la bonne gestion des flux de mobilité notamment) en la tenant à distance, c'est à même le sol que s'incarne la figure du marcheur. « C'est "en bas" au contraire (down), à partir des seuils où cesse la visibilité, que vivent les pratiquants ordinaires de la ville. Forme élémentaire de cette expérience, ils sont des marcheurs, Wandersmänner, dont le corps obéit aux pleins et aux déliés d'un "texte" urbain qu'ils écrivent sans pouvoir le lire » (Ibid. 141). Le rapport à la ville et la connaissance qui découle de ce deuxième point de vue est tout autre. Il ne s'agit plus d'un savoir totalisant passant uniquement par le visible. Ici, au sol, c'est l'engagement du corps dans l'espace et dans la durée de la marche, qui permet de découvrir la ville, de s'en constituer une connaissance fondée sur le pathique. Michel De Certeau dit même des marcheurs que « ces praticiens jouent des espaces qui ne se voient pas ; ils en ont une connaissance aussi aveugle que dans le corps à corps amoureux » (Ibid. 141). Cette connaissance n'est peut-être pas complètement aveugle, mais elle ne met plus en jeu uniquement la vue. Elle est devenue polysensorielle et se compose à partir d'une perception à la fois fragmentée et plurielle.

Différentes localisations du point de vue, différentes échelles et modalités de la perception, mais aussi différents rapports à la ville comme objet théorique ou sujet de connaissance empirique. Selon Michel De Certeau, ces deux figures sont liées à deux conceptions différentes de la ville : au sol, la ville est « transhumante, ou métaphorique », alors que depuis le haut des tours, elle est « planifiée et visible » (Ibid. 142). On voit bien que le point de vue adopté par la figure du voyeur, lié à un regard surplombant, immobile, totalisant et à distance, tire du côté de l'objectivation, tandis que le point de vue du marcheur, détaillé mais fragmenté, polysensoriel, en mouvement et engagé dans la ville, s'approche de la subjectivation de l'existant.

Si Michel de Certeau associent ces deux points de vue à des modes de représentation particuliers – celui du voyeur s'exprimant dans la carte, le plan perspectif, le tableau ; celui du marcheur se rapprochant du langage –, nous pouvons les retrouver tous deux dans la captation filmique, et notamment de façon combinée dans le film Panoptique Gare Du Nord.

En mêlant ces deux points de vue – il faut néanmoins noter que les caméras au sol ne se déplacent pas et adoptent ainsi la posture de personnes à l'arrêt, debout, en position d'attente, plutôt qu'elles n'endossent le comportement de marcheurs – le film Panoptique Gare Du Nord met en exergue la complexité de l'ambiance de la gare : les prises sensibles et les événements sont appréhendés de différentes manières qu'ils soient vus d'en haut, à distance, ou au sol, au milieu des passants, qui selon leurs occupations et leurs déplacements réagissent ou non aux situations rencontrées.


DE CERTEAU Michel. L'invention du quotidien. 1. Arts de faire. Paris : Editions Gallimard, 1990 [1ère édition : 1980]. 349p. Collection Folio essais.

DE FRANCE Claudine. « La profilmie, une forme permanente d'artifice en documentaire ».

In COMOLLI Annie & DE FRANCE Claudine (Eds.), Corps filmé, corps filmant. Paris, Université Paris X – FRC (Formation de Recherches Cinématographiques), 2006. Pages 117-142. Collection Cinéma & Sciences humaines.


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Vigilance et arrière-plan insécuritaire sur le terrain de la Redoma de Petare

La réputation d'insécurité de la Redoma a influencé notre protocole d'enquête. Le fait de choisir le mode du parcours et ainsi rester toujours en mouvement, le fait de ne pas passer deux fois au même endroit pendant chaque trajet était conçu comme une manière de se protéger, de se rendre a priori moins vulnérable. De même, durant nos parcours nous avons évité les interactions au sein du groupe - pour ne pas ralentir, pour ne pas se faire remarquer-, hésitant à nous parler, communiquant plutôt par signes brefs et discrets.

© Collectif « Mobilités éprouvantes »

En ce sens, c'est d'abord à travers la marche que l'arrière-plan insécuritaire a influencé notre perception du terrain, a modelé en partie notre expérience.
Marcher en groupe dans des espaces très encombrés contraint à cheminer plutôt les uns derrière les autres. Dans les moments, où le groupe se distend, l'un se retrouve à la traîne de quelques mètres et doit remonter le flot des passants ou forcer le passage pour rejoindre ceux qui sont devant ; au contraire, celui qui ouvre la marche doit régulièrement jeter un coup d'œil en arrière et parfois trouver une brèche où se loger pour attendre quelques instants. La consigne étant de ne pas se séparer, l'attention est en partie focalisée sur le fait d'essayer de ne pas se perdre de vue, de maintenir le rythme, de continuer à "serrer les rangs", ce qui accentue la difficulté à se caler sur le pas des autres passants.
Dans l'ordre de la marche, les rôles se sont implicitement distribués au fil des jours : en avant un vénézuélien, plus familier des codes de conduite et plus "compétent" en terme de vigilance ; en arrière, le plus grand, dépassant toutes les têtes et disposant ainsi d'un "horizon" panoramique ; au milieu, au contraire la plus petite, toujours immergée, encadrée et ainsi protégée.

" Au niveau des gens et de leurs regards, je remarque quelque chose de curieux. Comme je suis derrière et que Sandra est juste devant moi, prenant parfois des photos, j'ai tendance à regarder avec insistance les gens autour de moi afin d'attirer leur attention (ce qui détourne leur attention de Sandra qui prend des photos). Comme on ne fait que passer, je me dis que ça peut potentiellement désamorcer des situations potentiellement problématiques. Du coup, très souvent quelqu'un remarque Sandra, mais très vite cette personne sent que je la regarde. Il pose le regard sur moi, puis a tendance à fuir mon regard. Je m'attendais à ce que les gens me dévisagent, mais en fait, ils vont plutôt détourner le regard (inattention polie ?), ou même éviter de croiser le regard de l'autre. Il se passe alors la même chose que dans le métro. Entre la foule qui marche et se croise, il y a très peu de face à face. Chacun suit son chemin sans trop se préoccuper d'autrui. Par contre ce n'est pas du tout pareil avec certains marchands. Ce sont généralement des hommes qui ont au moins une cinquantaine d'années. Ils soutiennent mon regard mais sans animosité ni forme de dévisagement. Ce n'est pas non plus de la bienveillance. On dirait presque un regard blasé." [JD, 25.07.12]

Nos récits de terrain témoignent ainsi de scènes de trouble, qui décrivent l'impression par endroits d'être surveillé, le sentiment de malaise plus diffus d'être soumis à des regards masculins, ou encore la prise de conscience de sa propre vulnérabilité en se voyant dans un miroir.

" [au détour d'une ruelle de la Redoma], la misère se dévoile, surgit, même : à moitié allongé par terre et adossé au mur, un jeune homme est en train de préparer sa dose de drogue. Jje fixe la scène un moment pour être sûre tandis qu'A. se retourne vers moi avec l'air de me dire de faire attention, un peu inquiet. Il me voit regarder le jeune homme en train de se droguer, sentiment de gêne partagé mais je souris (en partie pour montrer que je ne suis pas choquée), et A. me montre un trou à éviter au sol ; moment et sentiments ambigus donc." [SF, 25.0.12]


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Débattre // Labilité

Se déplacer en minibus

La labilité des seuils ou le basculement d'ambiances

© Collectif « Mobilités éprouvantes »

Très utilisé par les habitants de Caracas, le minibus ("camioneta") fait partie de l'offre de transports collectifs privés qui s'est développée dans la capitale depuis les années 1970. Géré sous formes de coopératives, d'associations ou de syndicats de transporteurs, ce mode de transport est peu contrôlé et coordonné par les autorités publiques. Si depuis 2008 les municipalités ont en charge d'accorder l'autorisation d'exploitation de lignes particulières, dans la pratique, le réseau s'est depuis longtemps étendu sans planification, à mesure de la croissance urbaine de la ville et s'est en particulier développé le long des trajets les plus fréquentés où, offrant des tarifs attractifs (plus bas que le métro), le minibus impose sa concurrence aux transports publics. Une logique de forte concurrence qui se traduit aussi par l'ancienneté de nombreux véhicules, le non respect des itinéraires et des arrêts, le fonctionnement sans horaires fixes (concentration du service aux heures de pointe) et des conditions de travail difficiles pour les chauffeurs qui, sans salaire fixe ni assurance sociale, sont soumis à la pression de la rentabilité et de la congestion du trafic. 1


1 Sur ces différents apsects, voir : Lizarraga, Carmen. (2012). "Expansión metropolitana y movilidad: el caso de Caracas". EURE (Santiago), vol. 38, n°113, p. 99-125. Consulté le 21.03.2014 : http://www.scielo.cl/scielo.php?script=sci_arttext&pid=S0250-71612012000100005&lng=es&tlng=es. 10.4067/S0250-71612012000100005.

« vitrines de l'être » et « véhicules du paraître »

En centre-ville (Chacao - Caracas)
© Collectif « Mobilités éprouvantes »

Le plus souvent « customisés », les minibus sillonnent la ville en arborant toute une série de signes identitaires servant à la fois de mode d'expression et de moyen d'identification entre leurs propriétaires et/ou leurs chauffeurs. Petits panneaux interchangeables indiquant les destinations sur le pare-brise, enseignes colorées, fresques peintes ou messages effaçables sur les vitres (en particulier celle de derrière), autocollants affichant dictons ou blagues, transforment, à même la rue, les véhicules en de remarquables panneaux mobile d'informations.

Sur les vitres et à l'intérieur, messages "civiques"
© Collectif « Mobilités éprouvantes »

Ambiances minibus

Bruits des moteurs et des freins, odeurs et poussières des gaz d'échappement, usage tonitruant du klaxon... la circulation des minibus marque à tous les sens leur présence et contribue aux ambiances hyperesthésiques de la ville.

Prendre le minibus, c'est aussi composer avec l'ambiance intérieure imposée par le chauffeur : l'accueil réservé à la montée, le volume et le type de musique diffusé, les manières de conduire, de faire usage du klaxon, de freiner ou de faire rugir le moteur, l'impossibilité de percevoir la ville à travers les vitres teintées ou au contraire le plaisir d'éprouver les courants d'air à travers les fenêtres laissées ouvertes sont autant d'éléments qui colorent chaque trajet d'une tonalité éprouvante ou rassurante, agressive ou joyeuse.

© Collectif « Mobilités éprouvantes »

Des choix circonstanciés

Emprunter le minibus amène à faire des choix circonstanciés, en situation, afin de réajuster les décalages créés par une offre de service volubile et hétéroclite.

« Je prends le minibus pour aller au centre-ville. Je tiens compte des informations concernant les destinations affichées sur le pare-brise, mais parfois également de l'état du minibus, du fait qu'il y ait des places assises ou, tout simplement, que le minibus tant attendu arrive ». Ou encore : « il est important pour moi qu'il n'y ait pas beaucoup des gens, que des places soient disponibles, qu'il soit à l'heure et que les vitres ne soient pas trop obscures ».

Pour ceux qui demeurent sous l'effet de l'empreinte sécuritaire, un des premiers critères de choix consiste à identifier s'il s'agit d'un minibus « pirate » ou non, c'est-à-dire de déterminer si le minibus est associé à la coopérative de transport qui assure la route ou si d'autres chauffeurs de minibus profitent de la surcharge des heures de pointe, des jours de pluie ou des périodes de vacances, pour occuper la place. La vétusté du minibus, l'apparence « honnête » du chauffeur, sa façon de conduire ou le fait qu'il « ne semble pas être en combine avec des délinquants de route » sont aussi des critères pour orienter ses choix.

Puis l'usager doit résoudre un dilemme pratique : identifier non seulement sa destination au milieu du micmac d'annonces affichées sur le pare-brise du minibus, mais aussi s'assurer qu'elle corresponde avec le trajet le plus convenable. Ce choix est également circonstancié par les déplacements en continu effectués le long du trottoir pour se rapprocher du minibus repéré et accroître ses chances de l'atteindre et de l'aborder afin de ne pas « rester en touche » devant la concurrence d'autres passagers.

D'autres routines ?

L'adjectif labile désigne ce qui est peu stable, ce qui est soumis au changement.

A Caracas, "tout" semble soumis au conjoncturel, au provisoire, à l'éphémère, à l'accident, au changement brusque : l'économie, les dispositifs techniques, les lieux et leurs ambiances, les perceptions...

C'est parce qu'elle engage l'interaction entre ces différents éléments que la mobilité s'y trouve particulièrement mise à l'épreuve. Le circonstanciel, l'aléatoire, le précaire, en touchant le contexte général de fonctionnement de la ville (les pannes, les pénuries, les manifestations...), se répercutent en effet directement sur le cours d'action ordinaire des individus (la perturbation du trajet pour se rendre au travail...).

En ce sens, le labile s'inscrit ici dans une écologie de l'incertain plus qu'il ne s'identifie à un objet particulier. Mobilisé comme un registre qui touche à la fois le macro-contextuel et le micro-localisé, le labile trouve sa consistance dans la description des situations et des épreuves par lesquels il s'immisce dans les différents niveaux de l'expérience. Il permet en cela de rendre compte des équilibres fragiles qui se négocient entre la ville - comme acteur institutionnel - et l'urbain - dans ses pratiques usagères -.

De la routine à la réactivité avisée

Atteindre sa destination dans des conditions prévisibles, emprunter des "chemins balisés" est ce que tout citadin attend de ses trajets quotidiens. La routine, bien que parfois connotée négativement, possède en cela une dimension structurante, qui repose sur la possibilité de s'en remettre, de manière fiable, à la régularité des horaires et à la ponctualité, aux possibilités de correspondances et d'interconnexions, à la continuité de service, au confort ... Cette routine est d'autant plus grande que la gestion des transports est normalisée et leur usage codifié, que ce soit par l'intermédiaire de dispositifs techniques (automatisation) ou par les règles de conduite implicites entre usagers.

A Caracas, la prévisibilité et la régularité sont des caractéristiques sur lesquelles il est difficile de compter ; nécessitant des adaptations quotidiennes aux circonstances, se déplacer se présente souvent comme une succession d'épreuves et échappe a priori à la routine.

Pour reprendre les termes de M. Breviglieri 1, si la routine comme "utilisation normalisée et répétitive", comme "application d'un savoir formel de règles" ne semble pas ici correspondre, les citadins caraquéniens mettent pour autant en place une autre forme de routine, décrite par la sociologie de l'action comme "compétence dynamique" d'ajustement à la situation faisant notamment appel à des "capacité perceptives". A la routine comme réponse à des usages déterminés se substitue ici une routine d'accommodement.

Les situations que nous avons nous-mêmes vécues sur le terrain nous ont amené à identifier et à qualifier, sous l'expression de réactivité avisée, plusieurs registres de compétence : cognitif (gérer l'information), pratique (être capable de réagir), temporel (être capable de réagir immédiatement, sur l'instant) et émotionnel (capacité à se saisir de l'ambiance, réagir en fonction de son humeur).

L'extrait de récit de terrain qui suit, où la capacité d'anticipation de l'un de nous est mise à l'épreuve au moment de traverser une rue, montre comment ces registres façonnent des modes de perception, d'attention, de sensibilisation et d'accommodement qui servent à configurer les « rapports de trafic » (Hannerz, 1982) et les ambiances qui leur sont liées.

On est revenu un peu sur le dédale de commerces, mais on a très vite retrouvé la route où j'ai eu un bref moment de frayeur. J'avais perdu de vue le groupe juste avant la route. Il m'a semblé qu'ils étaient en train de traverser, donc j'accélère pour les rejoindre et m'apprête à traverser. Je pile au passage d'un bus et de motos. Là, je ne les vois plus. Je me dis qu'ils n'ont pas pu aller plus loin que jusque là où peut porter mon regard, face à moi. Je me dis qu'ils sont peut être partis sur la droite en longeant la route. Mais je ne les vois pas. J'ai une rapide montée d'adrénaline qui s'accompagne d'une sensation forte du corps. Je ne saurais pas dire si c'est de la frayeur, de la peur ou de l'angoisse. Aucun de ces mots n'est ici approprié. Ma préoccupation, c'est comment je vais les retrouver. Et là je remarque qu'ils sont juste à côté de moi. En fait, quand j'ai pilé pour laisser passer le bus, Si. était à un mètre de moi sur ma droite avec M., Sa. et A. Ce bout d'expérience n'a peut être duré que quelques secondes, pourtant il a laissé une trace plus importante dans mon champ de conscience. À la fois sur le moment par rapport à l'intensité de mon expérience vécue. Et après, dans le fait que je revois avec exactitude ce que je ressentais à ce moment là, et ce que je voyais aussi. Le souvenir des autres sensations est absent. Sûrement est-ce dû au fait que je cherchais à les retrouver, donc je balayais du regard l'espace autour de moi. Je me demande pourquoi je n'ai pas tout de suite remarqué qu'ils étaient juste à côté de moi. Est-ce que le changement d'ambiance y est pour quelque chose ? Parce qu'on se retrouve en bord de route, les commerces dans le dos, il faut refaire attention à la circulation (notamment aux motos qui sont toujours associées à l'agression potentielle)." [JD, 25.07.12]


1 Breviglieri, Marc, 2004, « Habiter l'espace de travail. Perspectives sur la routine », Histoire & Société. Revue européenne d'histoire sociale, n° 9, p. 18-29. http://gspm.ehess.fr/document.php?id=387


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Hyperesthésie sonore et labilité

A la Redoma de Petare, les ambiances sonores se font "envahissantes" et sont souvent perçues comme saturées. L'hyperesthésie sonore (voir rubrique "Mouvements") y tient à l'intensité sonore ambiante, au mixage entre les principales sources que constituent les bruits de la circulation et les sons du marché (voix, musiques, outils et objets), ainsi qu'aux nombreux effets d'irruption, tels le klaxon d'un bus ou le volume d'une musique commerciale poussée à fond...).

Ces ambiances ont aussi un caractère métabolique 1 : chaque type de source sonore tend à basculer sans cesse entre premier plan et arrière-plan, à osciller entre émergence et rumeur, figure et fond ; et nombreux sont les événements sonores brefs qui, comme le passage d'un camion ou le cri d'un vendeur, se succèdent très rapidement et contribuent à l'instabilité de l'environnement sonore.

Cette hyperesthésie participe ainsi de la labilité.

Désorientation et effet de métabole

Le fragment sonore qui suit, enregistré en heure de pointe un après-midi de semaine, exprime l'effet de métabole comme incapacité à désigner de manière stable ce qui est figure et ce qui est fond. A mesure du fragment, les sources sonores finissent par se confondre, se fondre entre elles, et rendent difficile la sélection "par l'oreille" de ce qui fait sens au sein de l'environnement sonore. A la Redoma de Petare, cet effet perceptif peut s'accompagner d'un effet d'ubiquité 2 : on ne sait plus d'où vient le son, qui semble venir de partout et de nulle part. Source de désorientation spatiale et temporelle, cette situation a aussi pu être renforcée par la saturation des autres sens (intensité de l'environnement visuel, olfactif ...). Très éphémère et très labile, elle participe des épreuves auquel le citadin est couramment soumis dans les rues de Caracas.

Hyperesthésie et sentiment esthétique

La foule, la sensation de dédale, la réverbération sonore un autopont, les vibrations d'une musique assourdissante ou encore la circulation perçue comme un ballet : les ambiances de la Redoma, pour éprouvantes qu'elles aient été pour nous, ont aussi par moments été vécues de manière esthétique, comme une source de plaisir.

C'est ce dont rend compte le fragment sonore suivant, où l'enchaînement d'événements sonores intenses, par un effet de fondu et de crescendo-decrescendo, crée une composition perçue d'une manière quasi-musicale.

Ce fragment renvoie à un effet Sharawadji 3, qui exprime un sentiment esthétique proche du sublime - source de vertige, de confusion des sens -. Cet effet subjectif "survient contre toute attente, transporte dans un ailleurs" et contraste avec la banalité dont il est issu ; il naît en particulier, comme ici, d'un désordre apparent, de la beauté imprévisible créée par un environnement sonore ordinaire où les sons de la ville se font entendre comme une musique.


1 Augoyard J.-F., Torgue H. (1995). A l'écoute de l'environnement : répertoire des effets sonores. Marseille, Parenthèses, p. 86 et suivantes.

2 Idem, p. 141.

3 "Sensation de plénitude qui se créé parfois lors de la contemplation d'un motif sonore ou d'un paysage sonore complexe dont la beauté est inexplicable". Idem, p. 126 et suivantes.


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Expérimenter // Salvador da Bahia

Affiche Expérimentation Salvador da Bahia

Livret Expérimentation Salvador da Bahia

Retours sur l'expérimentation à Salvador

Les expérimentations organisées à Salvador de Bahia du 14 au 16 avril 2014 avaient deux objectifs. D’une part, mettre à l’épreuve du regard de nos partenaires brésiliens la typologie des états de corps du piéton formulée par l’équipe française de l’axe 1. D’autre part, amorcer un débat contradictoire autour de la question de la pacification des espaces publics brésiliens et donc tester les potentialités d’un tel glissement de problématique (rappelons que les processus de pacification concernent depuis 2008 les favelas et le rétablissement d’une forme de paix sociale en leur sein et non directement les espaces publics urbains).

Après la présentation de MUSE le lundi 14 avril à la faculté de danse, deux marches urbaines collectives ont eu lieu le mardi 15 avril à Porto da Barra, puis Praça da Piedade, au cours desquelles un groupe d’étudiants brésiliens (en danse et en architecture) et de chercheurs avaient pour consigne de lire, expérimenter puis mettre en débat la typologie des états de corps du piéton.

Faculté de danse, 14 avril 2014 : présentation de MUSE et débat
Photo : Aurore Bonnet

Porto do Barra, 15 avril 2014 : lecture préparatoire aux marches urbaines collectives
Photo : Aurore Bonnet

Ces diverses expérimentations ont révélé la portée heuristique de cette typologie. Les divers états de corps permettent effectivement une lecture des espaces publics urbains qui révèle leur fond sensible et politique, la manière dont ils mettent à l’épreuve des formes plurielles de partage des lieux et des situations. Leur compréhension a bien sûr demandé du temps ; les nuances de vocabulaire entre le français et le portugais ont du être discutées ; la dimension exploratoire de cette typologie, et le fait qu’elle n’est ni exhaustive, ni fermée sur elle-même a suscité d’abord une incompréhension puis a permis l’émergence et l’apport de nuances à nos descriptions initiales des états de corps.
La plupart des participants brésiliens se sont focalisés sur l’état de tension, sa définition, et sa prégnance dans l’expérience des lieux. Est-ce à dire que cet état colore particulièrement l’expérience piétonne à Barra et Piedade, voire plus largement à Salvador ? Certains des participants à l’atelier le laisserait entendre. S’il faut rester néanmoins prudent face à toute tentation de généralisation non fondée empiriquement, il nous semble cependant possible d’émettre l’hypothèse selon laquelle cette focalisation révèle un arrière-plan ordinaire de l’expérience piétonne en ces lieux.

Le mercredi 16 avril devait être consacré à un débat sur la pacification des espaces publics urbains, les modalités de sa mise en œuvre in situ, l’adéquation de ce glissement problématique à la situation bahianaise actuelle à quelques semaines de la Copa. Ce débat a malheureusement été ajourné et n’a pu être reporté.
La veille au soir, à minuit, la police militaire, chargée du maintien de l’ordre dans les rues de la ville, a décrété une grève en vue de réclamer une amélioration de leurs conditions salariales. Bien que jugée illégale et anti-constitutionnelle par le tribunal fédéral de l’état de Bahia, cette grève s’est maintenue durant 48 heures, paralysant la ville toute entière et l’abandonnant à des groupes de pillards et de narcotrafiquants. Une quarantaine de meurtres ont été déplorés durant cette nuit ; les universités, commerces, musées et diverses institutions ont été fermées ; la circulation des bus et des taxis a été suspendue. Nous avons nous même été « assignés à résidence » à l’hôtel. Quelques heures après, l’armée et les patrouilles d’élite étaient déployées dans Salvador pour non seulement encadrer la grève de la police militaire mais aussi rétablir la sécurité et la paix sociale.

http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2014/04/17/les-soldats-obliges-de-ramener-l-ordre-a-salvador-au-bresil_4403613_3222.html

http://www.courrierinternational.com/depeche/newsmlmmd.urn.newsml.afp.com.20140418.1e4c556a.7d41.4bb3.8327.939e2987964c.xml

http://bresil2014.blog.lemonde.fr/2014/05/15/jour-de-colere-au-bresil/

Est-ce à dire que nous avons fait l’expérience particulière d’une forme de pacification de la rue à Salvador lors de ces 48H ? Probablement… Dans ces moments, qu’avons-nous partagé ? Un état de tension sans aucun doute ; un état de vigilance accrue et de vigilance inquiète dès lors que nous avons pu sortir de l’hôtel et investir à nouveau la rue à pied. Mais plus encore, après plusieurs années passées à étudier ces terrains et face à cette tension qui s’est accrue d’année en année à l’approche des grands évènements sportifs mondiaux, c’est la prise de conscience d’un engagement (physique et émotionnel) fort et la nécessité aujourd’hui de reprendre de la distance, bien que la phase d’analyse soit passée, qui domine…


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Expérimenter // Caracas

Affiche Expérimentation Caracas

Livret Expérimentation Caracas

Compte-rendu de l'expérimentation sur le site web de l'Instituto Municipal Vivienda y Habitat (IMVH) de l'Alcaldia de Sucre, partenaire de l'expérimentation

Consultation en ligne : https://imvihsucre.wordpress.com/2014/05/13/investigadores-debatieron-en-torno-a-la-movilidad-en-la-redoma-de-petare/

Expérimenter // Paris Gare du Nord

Affiche Expérimentation Paris Gare du Nord

Livret Expérimentation Paris Gare du Nord

Notes prises par les participants
lors de l’expériementation

En cours d’expérimentation en Gare du Nord

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