L'organisation de la vue : un jeu de co-visibilités, co-surveillance ?

Il existe aux abords directs du cimetière de Neuilly, des modes de retrait possibles. Dans un site aussi soumis à la surveillance (vidéo, policière et de l'armée) que La Défense, il semble que se soustraire à la vue soit un défi et parfois une nécessité. L'escalier en spirale accroché à la « Jetée », par exemple, qui est enveloppé d'une treille métallique, paraît être un lieu de prédilection pour des jeunes filles voulant fumer un narguilé sans se faire remarquer. Là où certains verraient un éventuel lieu de menace et d' « insécurité », d'autres se servent de ces quelques marches protégées comme cache à l'abri des regards et caméras indiscrets. De même, la volée de marches en contrebas de ce colimaçon, qui bute sur un cheminement ombragé et une palissade de bois, permet de boire une bière entre amis mais ne semble pourtant pas très engageante.

Escalier enveloppé formant connexion entre la Jetée et le jardin en contrebas
© Collectif « Paradoxes d'Ambiances »

Paradoxalement, les marches permettent l'assise mais sont des lieux de connexion, pratiqués obligatoirement à un moment ou un autre. Cela suppose que les adolescents qui s'installent ici sont à la fois en position de retrait et en situation d'ostentation, de mise en visibilité de leur activité puisque les marches sont encombrées et qu'il faut bien leur passer à côté.

L'on observe ainsi, de premier abord, sur ce site, des modes de retrait qui sont aussi, paradoxalement, des modes de mise en visibilité : les arbres qui bordent le cimetière de Neuilly offrent tout à la fois des zones d'ombres et la possibilité de s'offrir en spectacle aux passants de la jetée qui les surplombent. De niveau en niveau, de marches en marches, l'on est pris dans une sorte de kaléidoscope : le regard surplombant de la jetée est lui-même surplombé par la dalle et ses « habitants », assis sur les marches de l'Arche, perchés sur les terrasses des bureaux attenants, ou encore cachés dans les tours de verre et de pierre.

Des zones de retrait près du cimetière de Neuilly à La Défense, à la vue du passant de la Jetée
© Collectif « Paradoxes d'Ambiances »

Cependant le regardeur peut être regardé : au bout de la Jetée, cette espèce de couloir de connexion entre le bas et le haut, les quelques personnes venues là contempler non pas le paysage mais les « gens du dessous », qui circulent au pied du pilier, peuvent également être les acteurs d'une scène aérienne pour ces mêmes « gens du parterre »... Jeu de regards, de co-visibilités, la vue se perd à l'horizon et ricoche entre les tours, entre le haut et le bas...

Le bout de la Jetée à La Défense : vu/ être vu
© Collectif « Paradoxes d'Ambiances »

A Poblenou, l'urbanisme n'est pas celui, monumental, de dalle et de tours de La Défense, mais la vague, qui a envahi tout le littoral et ses abords, semble également avoir connoté les pratiques des lieux nouvellement aménagés. L'on peut retrouver, en écho au terrain de La Défense, bien que de façon moins explicite, ces jeux de vue surplombante et de mise en retrait ou en visibilité. Par exemple, le terrain de basket sur le côté sud du cimetière, nu, lisse, réverbérant, prolonge la plage les jours de beau temps : quelques jeunes hommes viennent y bronzer, à moitié nus, et pourtant encore dans la ville. En surplomb, une langue du parc en espalier qui se déroule le long de la plage : il est possible de s'installer là, sous les arbres, pour transformer le terrain en contrebas en « scène » dont le fond serait le mur du cimetière.

Les pratiques balnéaires s'invitent dans la ville - Barcelone - terrains de jeux entre le cimetière de Poblenou et le littoral
© Collectif « Paradoxes d'Ambiances »

Passerelle enjambant la "Ronda Litoral" dans le quartier Poblenou à Barcelone
© Collectif « Paradoxes d'Ambiances »

Les passerelles qui passent au-dessus de la "Ronda Litoral" permettent un point de vue sur les quelques amoureux installés autour des semblants de lac artificiel en contrebas. La promenade qui surplombe la mer permet un point de vue sur les personnes qui profitent de la plage. Enfin, de façon plus troublante, le seul bâtiment qui donne réellement sur le cimetière est un hôtel aux vitres tournées vers le littoral, offrant une vue plongeante à ses clients sur le labyrinthe de pierre jusqu'ici protégé des regards par ses hauts murs.

Vue imprenable depuis l'hôtel sur le littoral - et sur l'intérieur du cimetière de Poblenou cerné de hauts murs
© Collectif « Paradoxes d'Ambiances »


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Surveillance, interdits, empêchements – La Défense
© Collectif « Paradoxes d'Ambiances »

Le contrôle des flux mais surtout des installations s'opère sur la dalle piétonne de la Défense par une surveillance policière régulière, des interdictions (aussi bien sur la dalle que dans les espaces connexes privés), des incitations au mouvement par l'intermédiaire de l'aménagement de l'espace (peu de bancs pour s'asseoir sur le parvis), par du mobilier coercitif qui gêne l'accès aux deux-roues (mais aussi aux poussettes). Dans cet environnement toujours propre, où aucun papier ne traîne grâce à la ronde continue des agents d'entretiens (le ramassage des poubelles est très organisé, des agents à pied se chargent de changer les sacs en passant d'une poubelle à l'autre, de regrouper les sacs pleins en un point où ils sont rapidement prélevés par une camionnette qui tourne sur le site – voir la vidéo « Les marches de l'Arche », sur le site lambiophil : http://lambiophil.hypotheses.org/629), le piéton, pour lequel cet univers quelque peu stérilisé a été conçu, se perd régulièrement et est toujours surpris de découvrir des zones inconnues entre les tours et les passerelles.