Corps décors, quand les mouvements font ambiance

Quand les particularités physiques et sociales d'un lieu invitent à des formes de mobilités, les mouvements prennent place et dessinent des lignes de tension et d'attention dans un espace et un temps, en amplifient ou en font vibrer les qualités sensibles.

La dalle de la Défense forme une caisse de résonnance pour les pas des milliers de travailleurs pressés du matin, devient un fond de scène plus tard. Les bordures lisses du jardin de l'Arche sont comme un trottoir étroit pour les talons-aiguilles qui veulent éviter la calade de pierre, les interstices entre les planches de la Jetée provoquent des chorégraphies de contournement en courbes sinusoïdes (malheureusement non filmées), les embouchures étroites des sorties amènent des mouvements d'oscillations dans lesquels le chercheur lui-même est pris. Le mouvement devient collectif et les manifestations plus singulières, plus intimes du corps, trouvent davantage d'épanouissement entre la Jetée et le Jardin de l'Arche, en surplomb de la poche calme du cimetière. (Vidéos 1 à 3)

A Poblenou, le soleil de juin vient s'appuyer sur les lignes claires des murs et des sols, invitant le corps à se mettre à l'ombre, les douces déclivités et températures incitent à s'appareiller de roues pour filer plus vite, les allées de parcs et trottoirs lisses et larges permettent le croisement nonchalant des touristes et des habitants entre ville et plage.

Le cimetière vient ajouter un soupçon de monumentalité mystérieuse - ou de quotidienneté ennuyeuse, selon l'humeur et le côté du mur - dans cet environnement où les mouvements semblent fluides et les usages, poreux. (Vidéos 4 à 7)

Enfin, dans un lieu comme dans l'autre, comment le flux du mouvement se suspend-t-il quelques instants pour mieux s'ancrer ici et maintenant ? (Vidéo 8)

Masse en mouvement - La Défense
© Collectif « Paradoxes d'Ambiances »

"Mouvement de masse" ou "Masse en mouvement" à La Défense. 1/ Le chercheur en observateur extérieur (caméra fixe perpendiculaire au flux) 2/ puis engagé dans le flux, tentant de suivre un travailleur. Ce martèlement incessant des pas des travailleurs caractérise l'ambiance du plateau de La Défense aux heures de pointe, le matin en semaine.

Oscillation des corps et frottement des pieds - La Défense
© Collectif « Paradoxes d'Ambiances »

A l'approche des escalators, les corps se resserrent, ralentissent, un mouvement d'oscillation (appui alterné d'un pied sur l'autre) général se produit. Seules les nuques restent dans le champ de vision, les pieds se dérobent à la vue et se mettent à raser le sol pour ne pas heurter le talon des voisins. Les corps massés créent ainsi un mouvement d'ensemble rythmé de chuintements, moment de suspension du flux continu entre la sous-face et la surface, manifestation discrète du passage d'un milieu à un autre.
Capture vidéo effectuée un lundi matin à l'heure de pointe à La Défense, sortie des couloirs de métro et RER pour aller en surface de la dalle.

Des marches et démarches à La Défense
© Collectif « Paradoxes d'Ambiances »

Marcher seul ou à plusieurs à La Défense : petites chorégraphies urbaines de pas et de sols. Eviter les joints creux des dalles du parvis, ou filer le long de la bordure lisse sous la Jetée. Fléchir les jambes en talons aiguilles, ou coordonner ses pas en rangers. Marcher serré en amoureux, ou marcher groupé entre hommes ou femmes.

Ligne de fuite à l'ombre du mur – Poblenou
© Collectif « Paradoxes d'Ambiances »

L'ensoleillement de la rue du Taulat, qui longe le mur latéral du cimetière de Poblenou côté ville, détermine une ligne d'ombre franche, vers le mur le matin, vers les fabriques l'après-midi. Cette forte latéralisation de l'ambiance thermique et lumineuse par temps chaud et beau, semble avoir un impact sur la décision de marcher ou non du côté de ce mur pourtant haut, uniforme et dont la longueur paraît sans fin. Le piéton choisit alors de marcher assez près du mur ou s'en éloigne légèrement, contournant les réverbères, dévie légèrement sa trajectoire ou change sa canne de main pour un instant au croisement d'un autre piéton ou pour éviter la caméra.

Défilé - entre la Rambla de Poblenou et la plage
© Collectif « Paradoxes d'Ambiances »

La Rambla del Poblenou, autrefois portion large et longue de rue s'arrêtant sur un mur, se prolonge aujourd'hui par une allée piétonne directement vers le parapet en surplomb de la plage, traversant le Parc du littoral qui la jouxte.
D'une étendue couverte et ombragée (couverture végétale des arbres du parc), l'allée droite et lisse (avec une très légère déclivité qui monte vers la mer) devient une zone à découvert, où le lointain est visible et audible. Le promeneur semble alors offrir le spectacle de sa déambulation, de loin en loin les silhouettes en mouvement forment une ligne épaisse ou parsemée.
Dans l'extrait choisi, une musique provenant de la Rambla (concerts organisés pour la fête du quartier) vient appuyer cette impression.

Procession - Poblenou
© Collectif « Paradoxes d'Ambiances »

Un groupe de personnes sort du cimetière après la « mise en enfeu » d'un proche, par le portail latéral. Sitôt passé l'angle, le groupe va longer le mur latéral du cimetière sur toute sa longueur avant de rejoindre la Rambla. Le mur haut, long et aveugle, placé comme un écran de fond derrière ce mouvement d'ensemble, en renforce l'aspect linéaire et solennel. L'image d'une procession s'en dégage (alors même que les protagonistes n'en ont peut-être ni conscience ni l'intention), trace persistante de pratiques liées à la présence du cimetière dans le quartier.
Nous pouvons comparer ce mouvement d'ensemble régulier aux singularités presque affichées et visibles de toutes parts du « Défilé - entre la Rambla de Poblenou et la plage ».

La glisse en pente douce - Poblenou
© Collectif « Paradoxes d'Ambiances »

Se poster à un carrefour pendant une heure et observer comment les mouvements de glisse dessinent des sinusoïdes, lignes droites, petites chorégraphies urbaines en pente douce. La largeur du trottoir, le sol lisse, l'effacement des niveaux par une déclivité sans emmarchement et la proximité de la plage favorisent une mobilité « sur roues » que l'on pourrait qualifier de décontractée et sportive, collant parfaitement à l'image de ville "balnéarisée". Prises vidéo effectuées le 5 juin 2012 entre midi et treize heures près de l'école située à l'angle sud du cimetière de Poblenou.

Pause dans la marche – La Défense et Poblenou
© Collectif « Paradoxes d'Ambiances »

Faire une pause dans une marche relativement pressée en déviant son chemin pour quelques instants (la Jetée à La Défense, en surplomb de l'arrière du cimetière de Neuilly), ou faire une pause dans une marche tranquille en tournant son corps et son regard (Parc de Poblenou, en surplomb du terrain de jeux).